Audition au Sénat sur le « redressement de la justice »

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La CGT a été auditionnée par la commission des lois sur le « redressement de la justice ». Vous trouverez notre contribution ci-dessous et en PDF.

Pour un véritable service public de la justice !

Contribution à la mission d’information sénatoriale

sur le « redressement » de la justice

Le terme « redressement » choisi pour la mission pose question : parle-t-on du redressement judiciaire qui est la procédure mise en œuvre par toute entreprise en cessation de paiement ou du rétablissement des articles d’un compte financier entaché d’inexactitude ou de fraude ? Voilà qui n’est guère flatteur sur l’état de la justice…

*Budget du ministère : une augmentation en trompe l’œil !

Les emplois budgétés du ministère s’élèveraient en 2017 à 83 226 agents contre 71 390 en 2004 ce qui constitue effectivement une évolution importante (+ 8 890 agents) ! Ce chiffre est cependant à mettre en relation avec le total de 14 965 créations d’emplois annoncées depuis 2004 : plus de 6 000 emplois ont disparu dans la nature ! Comment et pourquoi ?!

Dans les services judiciaires, actuellement ce sont quasiment 1 000 greffiers stagiaires qui sont en formation, mais comment parler de « formation » alors qu’ils sont formés au rabais, entassés dans des salles de classe, amphithéâtre voire gymnase ? Pour pallier les manques d’effectifs, l’administration admet que des agents non titulaires puissent signer les jugements ou autres actes alors qu’ils sont stagiaires et non affectés dans la juridiction !!

S’agissant des personnels, le déploiement de contractuels ou d’auxiliaires est toujours aussi exponentiel : en plus des vacataires qui arrivent chaque année en masse, il faut ajouter les assistants de justice, les délégués du procureur, les juges de proximité (qui disparaissent bientôt mais vont continuer à travailler par vacations), les agents réservistes et nouveauté : les juristes assistants et les services civiques ! Pourquoi ne pas recruter des fonctionnaires au lieu de ces agents temporaires ?

L’évolution du budget du ministère peut effectivement paraître importante (+ 3 milliards par rapport à 2004), mais il s’agit d’un trompe-l’œil au vu des nombreux projets immobiliers en cours ; ce qui est logique au vu de l’état du parc immobilier du ministère qui nécessite constructions (plus de 30 prisons) et nombreux travaux de réhabilitation. Comment ne pas évoquer au passage la gabegie financière du futur palais de Justice de Paris dont le coût (hors déménagement) est pour l’instant estimé à plus 3,2 milliards d’euros contre les 2,7 initialement annoncés… Bel exemple de gestion alors que les travaux ne sont pas encore achevés et que le devenir de l’actuel palais de justice demeure toujours un mystère…

Le trompe-l’œil budgétaire est d’autant plus important que la réforme statutaire des greffes permettra à la DSJ d’économiser chaque année plusieurs millions d’euros sur le dos des agents.

Sur le terrain, les budgets de fonctionnement continuent à chuter d’année en année et les juridictions continuent à rogner de plus en plus sur les dépenses mais jusqu’où ?! Actuellement, des juridictions n’ont même plus les moyens pour assurer les menus travaux d’entretien et de réparation et ce alors-même que le nombre d’adjoints techniques continue de chuter…

Pour exemple, le budget de fonctionnement du ressort de la cour d’appel de Paris a baissé de 13% entre 2012 et 2016, et le contrôleur budgétaire a même émis, pour la première fois, un avis défavorable sur l’exécution du budget 2016.

*Évolution des métiers : à chacun son job !

Nous ne pourrons que reprendre (une nouvelle fois) les propos du sénateur Jean ARTHUIS, rapporteur de la mission sénatoriale HAENEL/ARTHUIS en septembre 1990 : « Le ministère de la justice est extraordinairement centré sur lui-même, auto-administré, les magistrats ont toujours considéré qu’ils devaient prendre en charge eux-mêmes l’administration de leur ministère et qu’ils devaient tout à la fois être experts en relations humaines, en gestion financière, en informatique, en construction ou en programmation, autant d’exigences qui à chaque fois ont été des échecs retentissants ». Au bout de 26 ans, il serait donc temps de devenir réaliste !

Recentrer les magistrats sur leur métier consiste également à leur retirer les fonctions de gestion administratives ou budgétaires pour qu’ils puissent enfin se concentrer sur leur corps de métier qui est de dire le droit. À quand la suppression des MDE (magistrats délégués à l’équipement) pour que l’immobilier soit enfin confié à des directeurs RGPI (responsables de la gestion du patrimoine immobilier) ? À quand une gestion budgétaire et technique des juridictions confiée uniquement aux directeurs comme dans les hôpitaux ? À quand des DDARJ (directeurs délégués à l’administration régionale judiciaire) uniques gestionnaires régionaux ? Bref, quand chacun pourra-t-il se concentrer sur ses fonctions ?

*Un service public continuellement en réforme :

Si la Justice continue à conserver de nombreux aspects hérités de l’ancien régime (audiences solennelles de rentrée, robes d’audience cléricales, toute puissance de certains potentats locaux…), elle est en constante réforme depuis de nombreuses années. Citons, parmi tant d’autres :

=> tutelles majeurs en 2008 (dont la mise en place a été longue et fastidieuse au vu de l’augmentation continue de ce contentieux) ;

=> carte judiciaire en 2008/2011 (qui a laissé de nombreuses plaies béantes) ;

=> hospitalisations sous contrainte en 2011 (mise en place sans anticipation) ;

=> conseils de prud’hommes en 2016 (qui ne fera qu’accroître leurs difficultés de fonctionnement, à croire que c’est volontaire) ;

=> innombrables réformes pénales depuis 10 ans (application des peines en 2014, terrorisme en 2016, prescriptions en 2017, etc…)

=> actuellement, J21 : transfert des tribunaux de police, transfert des juridictions sociales (TASS/TCI), suppressions des juridictions de proximité, mise en place des SAUJ, transfert des divorces aux notaires, projet Portalis, délégation possible de délivrance des CNF (certificats de nationalité française) aux greffiers…

=> déploiement toujours en cours du logiciel Cassiopée (logiciel toujours non abouti), augmentation des échanges inter-applicatifs, augmentation de la dématérialisation, etc…

=> évolution des métiers (suppression de postes d’adjoints administratifs face à l’informatisation, réduction du corps des adjoints techniques, évolution des fonctions des greffiers, métamorphose des GEC en « managers », etc…).

Ces différentes réformes et évolutions, souvent mises en place sans moyens supplémentaires et sans étude d’impact préalable, accolées aux réductions budgétaires et aux incessantes demandes de statistiques, ne sont pas sans impact sur les conditions de travail des agents.

*« Redresser » la Justice ?

=> le TPI, vraiment ? La mission sénatoriale semble avoir déjà son programme tracé puisque le TPI lui semble d’ores et déjà la panacée pour répondre aux problèmes d’effectifs et de budget : en quoi mutualiser la misère permettra d’améliorer le fonctionnement de la justice et l’amélioration des conditions de travail ?

Nous rappelons (une nouvelle fois) l’opposition des agents, fonctionnaires comme magistrats, à ce projet. Cette opposition nous l’avons portée en 2015 puis en 2016 grâce à la pétition que nous avons lancé dans les greffes pour dénoncer l’amendement DETRAIGNE.

La fusion envisagée des TI parisiens au sein du FPJP (futur palais de justice de Paris) sans consultation des agents et de leurs représentants constitue à notre sens une nouvelle réforme de la carte judiciaire et un prélude du TPI. Le tout a été décidé sans étude d’impact et sans mesure des conséquences pour les usagers du service public de la justice.

=> déjudiciariser dans quel but ? Pour déstocker, la mission semble bien vouloir continuer la déjudiciarisation, voire la privatisation, de certaines procédures en les confiant à certains auxiliaires de justice qui y voient une nouvelle source de revenus : où est l’intérêt du justiciable qui va devoir en supporter les coûts ?! Faut-il continuer de se soumettre aux lobbys des avocats, huissiers et notaires aux dépens de l’intérêt des usagers ?!

LES REVENDICATIONS DE LA CGT

Statuts et grilles des agents des greffes :

=> Une réelle et sensible revalorisation indiciaire des agents du greffe ;

=> Suppression des statuts d’emploi ;

=> Recentrage des magistrats sur leur cœur de métier ;

=> Pouvoir exclusif pour les directeurs de leurs responsabilités et attributions ;

=> Création d’un corps de B techniques et d’une plateforme d’agents techniques

=> Professionnalisation des assistants de prévention et des CLI (correspondants locaux informatiques) ;

=> Mise en place d’une réelle organisation et d’une harmonisation de la formation initiale et continue des agents et création d’un réseau de formateurs ;

Procédure :

=> Exécution des décisions civiles par les greffiers (et non plus par les huissiers de justice) afin d’offrir un réel service public de la justice ;

=> Confier les divorces par consentement mutuel aux officiers d’état civil ;

=> Création d’un corps d’avocats fonctionnaires qui aurait vocation à assurer la défense des plus démunis éligibles à l’aide juridictionnelle ;

Carte judiciaire :

=> Passage de 20 TI parisiens à 4 ou 5 pour maintenir la justice de proximité ;

=> Révision des ressorts de certaines cours d’appel (par exemple transfert du département de l’Yonne à la CA de Dijon et de l’Eure-et-Loir à la CA d’Orléans) ;

Dijon, le 15 mars 2017

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