Courrier commun CGT/SM à l’Inspection des Greffes Services Judiciaires

Le courrier en PDF.

Paris, le 6 avril 2016

Monsieur l’Inspecteur général,

Alors que vous avez récemment pris vos fonctions et que le projet de rapprochement des inspections va se concrétiser, il nous apparaît essentiel, en tant que représentants d’organisations de fonctionnaires et de magistrats, de vous faire part de nos réflexions sur le fonctionnement de l’Inspection des services judiciaires.

Elles se fondent pour une large part sur le constat que la procédure pénale s’est attachée, ces dernières années, à promouvoir les droits des personnes soupçonnées ou mises en cause, tandis que le ministère de la Justice continue de résister à l’institution d’une procédure « garantiste » à destination de ses personnels faisant l’objet d’une mission d’inspection.

S’il nous apparaît opportun, en premier lieu, que l’inspection ne puisse s’autosaisir, nos organisations entendent dénoncer, en revanche, le fait qu’elle ne puisse être saisie que par le Premier ministre ou un autre ministre, sans que le Conseil supérieur de la magistrature soit investi du même pouvoir.

Nous déplorons ensuite que la nature même des missions de l’IGSJ soit souvent mal connue. Certes, l’objectif assigné à certaines missions d’inspection est assez clair, qu’il s’agisse des missions permanentes d’audit interne ou de l’appréciation de « l’activité, du fonctionnement et de la performance » des juridictions. Toutefois, ces missions étant souvent ressenties comme intrusives dans les juridictions, il conviendrait de dispenser une formation adéquate aux magistrats des cours d’appel qui, en application du code de l’organisation judiciaire, réalisent ces missions dans nombre de juridictions de taille moyenne ou petite. Plus généralement, la mission de l’Inspecteur général ne peut se cantonner à la centralisation des rapports en vue de leur exploitation mais doit s’étendre à un accompagnement et un suivi des inspections de fonctionnement.

En revanche, l’objet même des enquêtes administratives reste très ambigu. Elles sont décrites comme « situées quasi-exclusivement en amont de la procédure disciplinaire » devant le Conseil supérieur de la magistrature ou le conseil de discipline compétent. Elles visent alors à recueillir des éléments relatifs au comportement individuel d’un magistrat ou

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d’un fonctionnaire mais également à un dysfonctionnement de service pouvant impliquer plusieurs personnes et susceptible de caractériser des fautes disciplinaires.

Dans ces hypothèses, il est souvent difficile de déterminer l’objectif réellement poursuivi par l’administration et l’absence de cadre procédural renforce de façon très préjudiciable le flou qui règne sur la situation des « enquêtés ». En effet, le régime juridique de ces missions n’est pas défini par les textes et ne résulte que de l’application des principes généraux fixés par la jurisprudence administrative relative à l’ensemble des inspections. Il nous paraît essentiel que l’IGSJ s’engage dans une démarche résolument respectueuse des droits des fonctionnaires et des magistrats concernés.

Ainsi, si la copie de la lettre de mission rédigée par le garde des Sceaux est remise à la personne concernée, celle-ci ne peut que « consulter » les pièces qui l’accompagnent. En outre, il n’est pas admissible que la saisine de l’IGSJ ne se limite pas aux faits et griefs figurant dans la saisine et puisse porter, sans que le mis en cause en soit même avisé, sur l’ensemble de son comportement, même si cette règle a été admise par le Conseil d’Etat.

La distinction opérée avec l’enquête dite disciplinaire, qui ne débute officiellement qu’avec l’intervention du rapporteur devant le CSM ou la commission de discipline, est proprement incompréhensible pour les magistrats et fonctionnaires visés par une enquête administrative dont ils perçoivent bien que l’objet est évidemment disciplinaire.

Dès lors, nos organisations syndicales ne peuvent admettre que les droits de la défense restent les grands absents de l’enquête administrative, au moment où le Parlement tente d’introduire un peu de contradictoire dans l’enquête pénale. L’option consistant à instaurer des « conditions offrant certaines garanties à la personne concernée » ne peut suffire à nous satisfaire. L’IGSJ doit aller plus loin dans l’élaboration de sa méthodologie et y introduire les exigences suivantes :

Accès à l’entier dossier et remise de sa copie intégrale au moment où l’intéressé est mis en cause et visé par une lettre de mission qui en expose les griefs (la copie de la lettre de mission et de ses annexes est insuffisante) ;

Limitation du périmètre de la mission et, en cas d’extension de celle-ci, nouvelle notification au mis en cause ;

Respect de délais de convocation qui doivent être prédéterminés et non pas laissés à l’appréciation de l’administration ;

Droit à l’assistance par un représentant syndical ou un avocat au cours de l’enquête administrative ;

Limitation de la durée des auditions, qui doivent se dérouler à des horaires compatibles avec les besoins de repos et d’assistance ;

Remise du rapport d’inspection à l’intéressé (même en l’absence de mise en œuvre d’une procédure disciplinaire stricto sensu) et possibilité pour l’intéressé de faire des observations et de demander des investigations complémentaires.

Il nous apparaît par ailleurs que les modalités de composition des équipes chargées des missions constituent un obstacle à une démarche transparente et respectueuse des droits des personnels. Alors que l’issue d’une inspection dépend bien souvent de la personnalité de ses membres, leur désignation ne paraît pas résulter de critères objectifs, explicites et incontestables. La configuration des équipes de mission varie selon leur objet et est fixée par la note de service qui en fixe les délais. Cette procédure devrait être complétée par l’équivalent d’une « ordonnance de roulement » qui déterminerait par avance la désignation d’un « inspecteur naturel », ainsi légitimé par cette démarche.

De même, la répartition des tâches entre fonctionnaires et magistrats composant les missions est souvent mal déterminée et, en tout cas, mal comprise par les agents concernés, le fonctionnaire étant encore trop souvent cantonné dans un rôle de secrétariat. Il est indispensable que les fonctionnaires disposent d’une réelle autonomie et que la spécificité de leur apport dans le contenu et les conclusions de l’inspection soit reconnue.

Nous nous interrogeons enfin sur l’absence, au sein du corps des inspecteurs, de magistrats du second grade qui seraient à même de donner des avis éclairés, notamment sur ce qu’il est normal d’attendre d’un magistrat qui débute dans la carrière. La diversité des recrutements des inspecteurs serait un atout pour l’inspection et nous la revendiquons.

L’ensemble de ces orientations et observations nous paraissent donc devoir être prises en compte afin de clarifier les rôles et missions de l’IGSJ et de garantir le respect des droits élémentaires des personnels.

Nous vous prions de croire, Monsieur l’Inspecteur général, à l’expression de notre considération distinguée.

Michel DEMOULE
Secrétaire général
CGT des Chancelleries et services judiciaires

Clarisse TARON Présidente du Syndicat de la magistrature

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