Audition par le Sénat sur le projet de loi de « confiance » dans l’institution judiciaire

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Projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire

Mme Agnès Canayer et M. Philippe Bonnecarrère, rapporteurs

Questionnaire à l’attention des
représentants des greffiers et personnels judiciaires

Réflexions du Syndicat National CGT des Chancelleries

& Services Judiciaires

  1. Que pensez-vous de la proposition d’enregistrer et diffuser certaines audiences ? Craignez-vous qu’elle favorise l’avènement d’une « justice-spectacle » ou pourrait-elle aider nos concitoyens à mieux comprendre le fonctionnement de la justice ? Quel pourrait être son impact sur l’activité des services de greffe ?

Tout d’abord, et comme nous le ferons tout au long de ce questionnaire et de la table ronde, nous nous demandons en quoi diffuser des audiences pourrait renforcer, en soi, mais aussi tel qu’exposé par le projet de loi, la confiance en la justice.

Lorsque le garde des sceaux nous affirme qu’il n’y aurait rien de trash, nous pouvons, comme vous, nous poser la confiance que nous pouvons avoir en ces propos. En effet, sous cette majorité, la parole ministérielle souffre de confiance à un niveau rarement égalé. Nous vous rappellerons, à titre d’illustration, le mensonge de la précédente ministre, Mme Belloubet, qui a assuré devant la représentation nationale, et donc devant vous, que la fusion des juridictions n’entrainerait aucune fermeture de juridiction. Avant même l’entrée en vigueur de la réforme, le sort de l’alors tribunal d’instance des Andelys était scellé et sera définitivement fermé le 31 août prochain.

Le garde des sceaux avance au contraire l’aspect pédagogique d’une diffusion des audiences. Pourtant, le projet de loi n’aborde à aucun moment cet aspect et ne peut donc pas en faire un objectif. Le service public de télévision semble d’ailleurs faire passer la course à l’audimat avant toute autre considération… Le risque est donc de tomber dans le sensationnel et le voyeurisme pour faire les choux gras des chaînes d’info en continue, sans autre objectif recherché que le buzz. Effets de manches garantis…

On constate déjà que la justice spectacle est un fait de société, avec l’exploitation sensationnelle d’un certain nombre d’affaires, et que le service public de télévision ne se distingue aucunement dans le traitement médiatique de ces affaires.

Concernant l’aspect matériel de l’enregistrement des audiences, il serait, nous dit-on, fourni par la chaîne de télévision : en mettant les moyens, il y a des chances qu’ils souhaitent prendre une part importante dans les décisions et choix d’audiences qui seraient diffusées…

Concernant l’impact sur l’activité des greffes, à défaut de pouvoir le mesurer précisément puisque les informations transmises sur le sujet par le ministère sont inexistantes, il n’est pas difficile d’imaginer que c’est vers les personnels de greffe que se tourneront les équipes de télévision dès qu’elles auront besoin d’un renseignement… Nous en profitons d’ailleurs pour vous faire part de l’expression en ce moment, par les personnels de greffe, de la souffrance au travail qui est la leur, du manque d’effectifs, d’une charge de travail toujours excessive, d’une reconnaissance insuffisante ; ce mouvement, qui avait essaimé avant la crise sanitaire à Orléans, Nantes, Bobigny, Marseille, a repris ces dernières semaines à Aix-en-Provence, Nantes, etc.

L’aspect budgétaire est lui aussi éludé par le ministère, sur ce point comme sur l’ensemble du projet de loi. Le seul élément que nous avons pu obtenir nous a été communiqué lors de la réunion improvisée par le ministre, le 22 mars, en pleine période de consultation des instances dites de dialogue social, et qui n’ont jamais aussi mal porté leur nom. Le ministre nous a alors assuré : « Ce projet de loi n’a aucun impact budgétaire ; de toute façon, avec le budget que nous avons obtenu, nous avons les moyens de nos ambitions. » Sans (cent) commentaires…

Au final, en dehors de la « justice spectacle », nous ne voyons pas ce qu’apporteraient les dispositions qui vous sont soumises sur le sujet, à part peut-être l’idée sous-jacente de la morale judéo-chrétienne, en donnant une publicité à certains faits et à mettre sur le devant de la scène des individus afin qu’ils expient ce qui leur est reproché.

Les audiences sont déjà en grande partie publiques, même s’il est de plus en plus difficile au public d’accéder aux palais de justice et donc aux salles d’audience. C’est à notre sens sur cet aspect-là que le ministère devrait insister, et travailler à ce que cet aspect soit plus connu.

En revanche, l’enregistrement d’audiences dans une perspective historique, voire documentaire, présente un intérêt indéniable et c’est peut-être plus sous cet angle qu’une réflexion pourrait être engagée, puisque ce type d’enregistrement est actuellement très limité.

  1. Les modifications relatives au fonctionnement des cours d’assises, notamment l’organisation d’une audience préparatoire, sont-elles de nature à avoir un impact sur l’activité des greffiers ? Quel regard portez-vous sur l’expérimentation de la cour criminelle départementale et sur la décision de les généraliser ?

Le maintien des jurés est essentiel, car il permet aux citoyens non seulement de participer à l’œuvre de justice, mais aussi de voir au plus près les rouages d’un procès et ce que représente l’organisation d’un procès. En cela, nous ne voyons pas en quoi cette mesure serait de nature à instaurer ou renforcer la confiance en la justice.

Nous nous méfions toujours plus de ce que les gouvernements successifs ne cessent d’appeler simplification, fluidification, gain de temps… puisque les conséquences en sont généralement inverses. En l’occurrence, l’instauration d’une nouvelle juridiction, qui plus est sans moyens supplémentaires (cf question n°1 sur l’aspect budgétaire et sur la souffrance au travail), risque d’accroître sensiblement les difficultés des juridictions.

La véritable cause des délais particulièrement longs en matière criminelle réside dans l’inadéquation des moyens aux besoins…

Enfin, l’expérimentation est particulièrement limitée et le bilan inconnu, et, s’il existe, absolument pas contradictoire. Le seul élément que nous ayons, ce sont les propos du ministre lors de la réunion improvisée, qui nous a alors assuré que, s’il avait des craintes sur la disparition de la cour d’assises lorsqu’il était avocat, ce n’était plus le cas depuis qu’il était ministre. Outre la question de la confiance en la parole ministérielle (encore une fois, cf question n°1), cela ne vaut évidemment pas un bilan, composé d’éléments plus ou moins tangibles… puisque nous savons aussi qu’un bilan d’expérimentation peut être orienté en fonction du souhait du ministère…

  1. Quel regard portez-vous sur les modifications envisagées concernant l’enquête préliminaire (durée limitée, ouverture au contradictoire) ? Ne risquent-elles pas d’entraîner un surcroît d’activité pour les greffiers, par exemple pour assurer la computation des délais ?

Les dispositions relatives à la durée de l’enquête ne nous inspirent pas du tout confiance !

La crainte est grande que des affaires, les plus complexes, impliquant des personnalités exposées, le plus souvent en matière de délinquance en col blanc, passent ainsi à la trappe.

Par ailleurs, des manœuvres dilatoires (ou pire) dans ce domaine ne sont pas du tout à écarter. Une récente affaire de coffre-fort est là pour nous le rappeler…

Encore une fois, le problème derrière cette question est en grande partie lié aux moyens données aux juridictions et aux services d’enquête. L’intention ne paraît pas être de régler cette difficulté puisque ces mesures vont accentuer les difficultés rencontrées par les services de greffe avec un surcroît d’activité qui ne fait l’objet d’aucun accompagnement, et alors que les réformes procédurales ne cessent de s’enchaîner !

  1. Êtes-vous favorable à conférer, via la formule exécutoire apposée par le greffe de la juridiction compétente, un caractère exécutoire aux transactions et actes constatant un accord issu d’une conciliation, médiation ou procédure participative contresigné par les avocats des parties ? Quelles sont les implications concrètes de cette nouveauté ? Quel serait la nature du contrôle exercé par le greffe ?

Cette disposition figure au sein du titre V intitulé « Renforcer la confiance du public dans l’action des professionnels du droit », tout à fait étonnant quand on voit les professions concernées par ce titre : les « commissaires de justice » (qui ne seront créés qu’en 2022 par la fusion des huissiers et des commissaires-priseurs), les greffiers des tribunaux de commerce, notaires, … Pour « renforcer » la confiance du public dans ces professions, encore faudrait-il qu’elle existe un tant soit peu !

Et cette disposition, si elle va faciliter le travail des avocats mais aussi les petits arrangements pas nécessairement favorables aux parties, voire même les magouilles, ne va pas arranger le travail du greffe et surtout pourra engager fortement la responsabilité des greffiers, sans qu’ils aient la moindre possibilité de contrôle sur les conditions de l’accord…

Un contrôle de légalité sera insuffisant, le contrôle d’un juge, qui vérifiera qu’aucune partie n’est lésée, est en ce cas indispensable.

  1. La possibilité qui serait ouverte de délocaliser certains grands procès dans le ressort de la cour d’appel vous paraît-elle utile ? La possibilité de délocaliser certaines audiences dans une commune située dans le ressort d’une juridiction limitrophe est-elle souvent utilisée ?

Les procès dits « hors normes » par le nombre de parties et/ou victimes, nécessitant de délocaliser la salle d’audience ne sont pas monnaie courante, mais ils existent, à l’image du procès Goodyear, dont l’audience au conseil de prud’hommes s’est tenue dans une salle habituellement réservée aux concerts.

Le prochain procès « hors normes » à venir est le procès V13, qui s’ouvrira en septembre 2021, qui a nécessité la construction d’une salle, construction qui aura duré un an pour que, par la suite, elle soit démontée…

Par conséquent, si cela permet d’éviter des aménagements de salle aux coûts faramineux…

  1. Que pensez-vous de la suppression de la juridiction nationale des injonctions de payer (JUNIP) ?

Il est intéressant de noter que la JUNIP a été décidée par une loi et que c’est par un simple mail qu’il a été décidé de ne pas appliquer la loi, puis d’un point d’information en comité technique des services judiciaires… Il faut rappeler que plusieurs postes de greffiers en sortie d’école avaient été ciblés à Strasbourg pour la JUNIP avant que l’on apprenne la marche arrière.

Lors de la présentation du projet de loi en comité technique des services judiciaires puis en comité technique ministériel, il n’était prévu qu’un nouveau report de l’entrée en vigueur de la JUNIP, au 1er septembre 2023.

La suppression de la JUNIP est une très bonne chose, nous nous étions opposés à sa création et nous avons porté un amendement de suppression dans les deux instances, l’administration n’ayant retenu cet amendement, largement majoritaire, à aucun moment…

Il faudra remettre des effectifs de fonctionnaires, et pas des contractuels, dans les tribunaux de proximité pour traiter cette procédure de masse.

  1. D’autres dispositions du projet de loi auront-elles des conséquences concrètes sur votre travail et, le cas échéant, appellent-elles des observations de votre part ?

Le chapitre IV, qui concerne les « Dispositions relatives à l’exécution des peines », devrait avoir des conséquences importantes sur l’activité des greffes d’application des peines, sans qu’une étude d’impact apporte des éclairages, même insuffisants (les besoins en personnels ciblés par les études d’impact sont systématiquement insuffisants), sur l’activité du greffe. Nous avons donc, là aussi, les plus grandes inquiétudes, alors que les services d’application des peines sont déjà trop souvent en difficulté. Et alors que, de surcroît, ils vont devoir d’ici peu absorber la réforme sur les recours formulés par les détenus sur leurs conditions indignes de détention. Une illustration de plus de l’enchaînement de réformes sans étude d’impact…

  1. Qu’attendez-vous des États généraux de la justice ? Avez-vous des informations sur leur organisation et la manière dont vous pourriez y être associés ? Quels sont les thèmes qui mériteraient selon vous d’être abordés en priorité ?

Avec les « États généraux de la justice », nous sommes en plein dans la « justice spectacle ».

Nous avons eu « la justice du XXIè siècle » avec TAUBIRA, puis « les chantiers de la Justice » avec BELLOUBET et on repart sur des « Etats Généraux ». La logique voudrait que, comme en 1789, les Ordres puissent se réunir en amont et que des cahiers de doléances puissent être élaborés localement…

Nous n’y avons pas été conviés à ce jour, nous avons découvert l’initiative par la presse… les personnels de justice et les syndicats qui les représentent ne semblent pas être l’objet d’un grand intérêt de la part du garde des sceaux…

Y avons-nous du temps à y perdre ? à quelques mois d’échéances politiques nationales d’envergure, l’annonce de ces états-généraux n’est pas autre chose qu’un affichage de plus, visant à tenter de laisser croire que les problématiques de la justice sont prises en compte auprès de l’opinion publique.

La justice ne pourra fonctionner que si des moyens lui sont donnés : en personnels titulaires (et non pas contractuels), techniques et technologiques, et que cesse l’inflation des réformes en tout genre sans études d’impact et sans moyens.

L’accumulation des réformes aggrave la situation du greffe car elles s’entassent à un rythme tel qu’il est difficile de suivre et que l’informatique ne suit quasiment pas…

Pour conclure, nous vous joignons le communiqué que nous avions diffusé à l’issue du CTM au cours duquel ce projet de loi a été examiné, puisqu’il dit beaucoup de la considération de ce ministère pour les principes, la démocratie, les personnels, mais aussi les citoyens…

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