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Carte Judiciaire : Contribution du Syndicat CGT-Justice

Contribution du Syndicat National C.G.T. des Chancelleries & Services Judiciaires à propos de la réforme de la carte judiciaire

En préambule, nous tenons à informer que cette contribution initiée dès le lancement de la réforme, se nourrit des évolutions constantes du dossier tant sur la forme que sur le fond, avec en préalable un certain nombre de rappels d’ordre général, visant notamment à rétablir la réalité sur quelques idées reçues et trop largement, pour ne pas dire bêtement, répandues.

Quelques observations d’ordre général :

Dans sa lettre du 6 juin 2007 adressée au secrétaire général Marc Moinard, la ministre de la justice indiquait notamment :

Aussi, j’ai décidé d’engager la réforme de la carte judiciaire, préalable indispensable aux autres réformes nécessaires à la modernisation de l’institution judiciaire

Moderniser, un grand mot … à la mode … rendre moderne ou organiser d’une manière conforme aux besoins, aux moyens modernes, nous précise le Robert… Rappelons que pour les historiens français, l’histoire moderne concerne la période qui va de 1453 (date de la prise de Constantinople par les Turcs) à 1789 (chute de l’ancien régime) …

Certes, ce n’est sûrement pas la C.G.T. qui contestera l’archaïsme de l’institution judiciaire ! Mais les principaux archaïsmes sont ailleurs… et sans doute et malheureusement pas près de changer…

Quant à la carte judiciaire, l’un des poncifs le plus habituellement répercuté, tant au ministère que dans la presse, afin d’en démontrer la vétusté, est qu’elle n’aurait pas été modifiée depuis 1958, soit près de cinquante ans…

Dans un de leurs communiqués, le S.D.G.F. (Syndicat des greffiers de France) va même jusqu’à écrire qu’il n’y a eu aucune réforme d’envergure depuis 1794 ! mais il faut préciser que leur source est un article du Figaro du 7 juin mal assimilé…

Rappelons donc qu’en dehors de la grande réforme de 1958,
– la carte prud’hommale date de 1980, avec une première modification en 1983 par l’intégration des conseils d’Alsace-Moselle, et une révision générale fin 1992 avec la suppression de 11 conseils de prud’hommes (même si une cinquantaine de conseils était menacée au départ) …

– le nombre de greffes détachés des tribunaux d’instance s’est considérablement réduit depuis la réforme de 1958, et sur les 85 encore officiellement recensés, nombreux sont ceux qui n’existent plus que sur le papier, ainsi, deux sur les trois encore recensés dans le ressort de la cour d’appel de Douai… certains greffes détachés, comme Elbeuf, ont été au contraire érigés en tribunal d’instance…

– la réforme administrative de la région Ile-de-France au début des années 1960 a entraîné des modifications quant à l’implantation des juridictions des trois départements de la petite couronne, sans oublier la création de la cour d’appel de Versailles, dans les années 1970…

– quant aux tribunaux de commerce, la mission confiée en 1998 à Flavien Errera en a fait passer le nombre de 227 à 185, en dehors de la question des T.G.I. à compétence commerciale et des juridictions commerciales d’Alsace-Moselle et de Savoie…

C’est dire s’il faut relativiser cette idée d’une “vieille carte judiciaire préalable indispensable » à la modernisation de l’institution …

D’autant plus lorsque l’on prend pour modèles les cartes administratives des départements (qui datent pour l’essentiel des années 1790) et des actuelles régions (dont la mise en place actuelle date certes de la fin des années 1960, donc peu après 1958, mais dont le nom et les contours géographiques fleurent bon nos provinces d’ancien régime : Alsace, Auvergne, Bourgogne, Franche-Comté, Languedoc-Roussillon, Limousin, Lorraine, Normandie, Picardie, etc…)…

La carte judiciaire est l’un des thèmes qui revient souvent lorsqu’il est question de réforme de l’institution judiciaire. C’est un peu une sorte de serpent de mer qui réapparaît régulièrement, mais que l’on ne sait par quel bout attraper.
Ce n’est donc pas étonnant si, parmi tant d’autres rapports consacrés à la réforme ou à la modernisation de l’institution en général, la carte judiciaire s’est notamment retrouvée au centre du rapport Carrez en février 1994, et dans une moindre mesure dans le rapport Haenel-Arthuis sur la justice de proximité fin 1994 ou encore dans le rapport Jolibois à l’automne 1996.
La loi programme pour la justice du 6 janvier 1995 précisait d’ailleurs que le gouvernement devrait remettre au parlement, avant le 31 décembre 1995, un rapport sur la réforme de la carte judiciaire…

Les trois paragraphes précédents constituent le début d’une note de 5 pages de notre syndicat rédigée en juin 1997… et 10 ans après, alors qu’il y a eu la mission Errera en 1998, il n’y a rien à y changer aujourd’hui et nous pourrions reprendre intégralement ce document.

Déjà , nous dénoncions le fait que la réforme n’était envisagée par les chefs de cour et les chefs de juridictions qu’en termes de suppression de juridictions considérées comme de taille insuffisante…

Et les annonces faites depuis une quinzaine de jours par la ministre s’inscrivent exclusivement dans cette logique de suppressions, suppressions, suppressions…

Sur les axes de la réforme initiée en juin 2007 :

Depuis le discours du 27 juin de la ministre de la justice, nous savons ce qu’est une juridiction de taille insuffisante, puisque le seul exemple donné a été le T.G.I. de Boulogne/Mer…

Sachant que 40 % des départements ont aujourd’hui un nombre de magistrats inférieur à celui de Boulogne/Mer, on mesure le sérieux de la préparation de ce dossier…

Les TGI départementaux de Bourges, Châteauroux et Nevers, comme celui de Chaumont, dont la disparition n’est toutefois pas à l’ordre du jour, ont ainsi un nombre de magistrats du siège inférieur d’un tiers voire de moitié à celui de Boulogne/Mer…

Si l’on s’en tient au programme de l’U.M.P., une cour d’appel par région, un T.G.I. par département, on voit rapidement ce que cela donne … Si l’on s’en tient à la métropole, seule la cour d’appel de Bastia correspond à la région Corse, avec un seul T.G.I. par département (mais la préfecture de région est à Ajaccio)…

Mais il est vrai que ce « slogan de campagne » a rapidement fait long feu et c’est sans doute en cela qu’au moment du lancement des (pseudo) consultations, la ministre n’a eu de cesse de nous dire qu’elle n’avait pas de position dogmatique.

Si des aménagements apparaissent possibles, mais pas forcément souhaitables, par le rattachement de tel ou tel département à telle ou telle autre cour d’appel, cela reste généralement très marginal.

Si l’on veut réellement moderniser l’institution, commençons par supprimer certaines vieilleries, comme les avoués (véritables parasites sociaux qui n’apportent aucune valeur ajoutée à l’institution judiciaire, mais contribuent au contraire, par leur coût, à en dévaloriser encore plus l’image), en les intégrant parmi les avocats comme cela a été fait en 1972 dans les T.G.I. C’est ce que la C.G.T. revendique depuis de nombreuses années, et c’est ce que la C.G.T. a rappelé ces derniers mois tant au conseiller technique en charge de la carte judiciaire qu’à la ministre de la justice et à son nouveau directeur de cabinet.

Concernant les T.I. et les C.P.H., juridictions de proximité par excellence, comment envisager aujourd’hui des suppressions, même si des regroupements sont effectivement parfois possibles ou souhaitables, alors que c’est cette même majorité politique qui a créé depuis 2002 la nouvelle juridiction de proximité ?

Une des autres « formules » que l’on peut lire régulièrement ces dernières semaines est qu’il faut séparer l’accès au droit, qui pourrait se faire dans des M.J.D. et autres points d’accès au droit, de l’accès au juge, qui serait le rà´le des tribunaux… C’est bien mal connaître, ou feindre de mal connaître le fonctionnement de l’institution judiciaire. Dans de nombreux tribunaux d’instance, le public qui vient et rencontre les fonctionnaires de tel ou tel service ne voit jamais le juge, ou éventuellement à l’occasion d’une audience…, les juridictions ne s’arrêtent pas de fonctionner parce qu’il n’y a pas de juge à l’intérieur du tribunal !

Il est vrai qu’à la lecture des statistiques mises en ligne sur le site ministériel de la carte judiciaire, on pourrait penser que l’activité d’un certain nombre de tribunaux d’instance est très restreinte. En effet, ces statistiques se limitent à l’activité du tribunal de police (environ 5% à 10% de l’activité d’un tribunal d’instance) et d’une partie du service civil (audiences au fond, audiences de référé).

Or au tribunal d’instance, il y a aussi les tutelles, les saisies des rémunérations, les injonctions de payer, mais également et surtout un certain nombre de domaines où le juge n’intervient pas ou très peu (certificats de nationalité, P.A.C.S., actes de notoriété en matière successorale, régie, cessions de salaires, scellés, vérification de comptes de gestion de tutelles…).

Ce ne sont donc pas les M.J.D. (services des T.G.I., rattachés au parquet, sans autonomie propre) et autres points d’accès au droit qui pourront demain se substituer aux tribunaux d’instance supprimés, ne serait-ce que pour l’apposition des scellés, dont on connaà®t toute l’importance dans les campagnes.

Rappelons également que le juge d’instance a vocation à concilier les parties, et que cette fonction suppose de fait des délais rapides et une réelle proximité.

Pour l’usager, il s’agit d’une juridiction facile à saisir et, comme pour les conseils de prud’hommes, avec possibilité de se faire assister ou représenter par son conjoint, voire un proche.

Les tribunaux d’instance sont généralement reconnus comme des juridictions qui fonctionnent bien, avec les délais de traitement des dossiers les plus courts, même si ces structures ont souffert ces dernières années de la mise en place des juridictions de proximité sans aucuns moyens supplémentaires, de l’élargissement des domaines de compétence, notamment pour les greffiers en chef, et alors que ces tribunaux, comme d’ailleurs les conseils de prud’hommes, ne sont jamais une priorité de l’administration lorsqu’il s’agit de pourvoir des postes vacants…

Depuis des dizaines d’années que l’on entend parler de réforme de la carte, en raison des évolutions démographiques, on laisse entendre qu’il faut envisager des créations et des suppressions… Mais dès qu’il s’agit de propositions plus concrètes, il n’y a plus de place pour des créations de juridictions, et l’on n’entend plus parler que de suppressions…

La C.G.T. considère quant à elle que si, à la marge, la fermeture de certains sites peut être concevable, des créations doivent aussi être très sérieusement envisagées, notamment en Ile de France où la taille sur-dimensionnée des T.G.I. de Paris, Nanterre, Bobigny, Créteil et à Evry ne permet pas à ces juridictions d’avoir un fonctionnement satisfaisant tant pour les usagers que pour les personnels qui y exercent. De même, la compétence territoriale du C.P.H. de Bobigny mériterait d’être réétudiée dans la mesure où ce Conseil est le seul du département très peuplé de la Seine Saint-Denis, mais aussi parce qu’il a la particularité de traiter le contentieux (très important) de la zone aéroportuaire de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle situé dans le Val d’Oise.

La C.G.T. affirme et réaffirme également sa totale opposition à la mise en place de T.P.I. (Tribunaux de première instance) regroupant les compétences actuelles des T.I., voire des C.P.H…. puisque cette idée aussi contestable que contestée semble ressurgir ici ou là …

Nous ne confondrons jamais la nécessaire modernisation de l’institution judiciaire avec les plans de carrière de tels ou tels petits potentats locaux.

Les incohérences de la réforme telle qu’elle est aujourd’hui envisagée :

* Sur la forme :

Avant tout chose, nous entendons dénoncer les conditions dans lesquelles cette réforme est menée. Le comité consultatif a été installé le 27 juin dernier, les contributions des chefs de cours devaient parvenir à la ministre pour le 30 septembre pour une mise en ligne immédiate sur le site dédié à la carte judiciaire afin d’envisager une réunion du comité consultatif mi-octobre : en somme, un calendrier serré durant une période peu propice aux échanges et à la concertation, et qui en outre n’aura pas été respecté.

Dans bon nombre de juridictions, les fonctionnaires n’ont pas été consultés, et dans bon nombre de cours les C.T.P.R. auront été réunis de manière purement formelle faute d’éléments sérieux de discussions.

Au mépris le plus élémentaire des personnels et des différents interlocuteurs concernés, la ministre a choisi de présenter sa réforme au niveau de l’échelon local et non pas dans sa globalité, dans le cadre du comité consultatif, comme prévu à l’origine.

Dans un courrier du 22 octobre adressé à notre organisation syndicale, la ministre ose expliquer que le choix d’une telle présentation a été voulue par les élus, les magistrats, les fonctionnaires et les professions judiciaires pour que « la nouvelle carte prenne parfaitement en compte les réalités et les impératifs de l’aménagement du territoire. » Elle nous indique par ailleurs : « ces premiers déplacements confirment que la démarche retenue est celle qui était attendue » et qu’elle : « entend également travailler dans la transparence. »

La malhonnêteté intellectuelle n’a décidément pas de limites puisqu’une telle démarche est très largement dénoncée par tous les partenaires précédemment cités, que nous avançons dans l’opacité la plus totale puisqu’aucun calendrier des déplacements de la ministre n’est communiqué, ce qui, nous l’avons bien compris, est voulu afin de contrer autant que faire se peut les manifestations locales de mécontentement. Que dire également des déplacements effectués la plupart du temps le samedi ou encore pendant les congés scolaires !

Comment la ministre peut elle aussi présenter ses déplacements comme l’occasion d’un débat à l’échelon local, puisque ceux-ci sont menés au pas de charge ? La ministre annone un discours à une assemblée de divers représentants du monde judiciaire qui a peu la faculté ensuite de critiquer une réforme estimée sans doute sans appel compte tenu du temps de parole imparti.

Nous verrons bien, d’ailleurs, si la même méthode, dite de « transparence et en prenant en compte les réalités du terrain« , sera encore utilisée dans quelques semaines, pour annoncer les plusieurs dizaines de juridictions prud’hommales menacées…

* Sur le fond :

A étudier de près les premières propositions faites, les vendredi 12 octobre à Lille (concernant le ressort de la cour d’appel de Douai) et samedi 13 octobre à Bourges (concernant les ressorts des cours d’appel de Bourges et Orléans), on est loin du discours ministériel du 27 juin dernier, qui prenait comme point de départ pour motiver la réforme l’affaire d’Outreau.

Personne ne peut sérieusement croire que c’est en supprimant tous les T.I. des ressorts de Bourges et Orléans, en dehors de ceux sièges d’un T.G.I. (ce qui, en dehors du Loiret, – et du Cher avec le maintien de Saint-Amand-Montrond – ne laisserait qu’un seul T.I. par département), que l’on va, demain, éviter de nouveaux « Outreau ».

Et rappelons que le rapport Carrez considérait que si l’on partait de rien, il faudrait créer une carte judiciaire avec 3 T.I. par département.

Un seul tribunal d’instance par département va immanquablement faire renoncer de nombreux citoyens à faire appel à la justice, d’autant plus lorsque la juridiction est décentrée, comme à Nevers, par exemple.

Les seuls à se réjouir de ces suppressions seront bien évidemment les barreaux, dont les membres n’auront plus à se déplacer dans d’autres villes du département, en attendant et en revendiquant, cerise sur le gâteau, l’extension de la représentation obligatoire. Mesure d’autant plus scandaleuse, si elle devait voir le jour, qu’elle serait également un frein à l’accessibilité de la justice compte tenu du coût. En outre, il ne faut pas oublier qu’une des principales causes de lenteur de la justice, ce sont les avocats qui font durer les procédures à grands renforts de demandes de renvoi !

« L’organisation actuelle de la carte judiciaire constitue un frein à toute réforme tendant à rendre la justice à la fois plus proche des citoyens et plus performante », c’est le début du courrier du 6 juin 2007 adressé par la garde des sceaux au secrétaire général. (la réforme) doit d’abord être entreprise dans l’intérêt des justiciables qui veulent une justice de qualité… un juge isolé n’est-il pas un juge en danger… extraits du discours du 27 juin…

A qui fera t-on croire que ne laisser qu’un tribunal d’instance dans des départements étendus va rendre la justice plus proche des citoyens ? Où est l’intérêt des justiciables, et un citoyen isolé ne sera t-il pas, demain, un citoyen en danger ?

« On ne va pas construire un tribunal à chaque coin de rue », déclarait Rachida Dati dans « Le Monde » du 17 octobre pour expliquer que « la justice doit être juste pour tout le monde et partout »

Vouloir rassurer la population en expliquant que le magistrat se déplacera auprès des personnes âgées à placer sous tutelle n’est pas très sérieux puisque, faut-il le rappeler, c’est déjà le cas aujourd’hui ; qu’en outre, le domaine d’intervention en matière de tutelles ne se limite pas uniquement aux personnes âgées, qu’il y a aussi les jeunes majeurs dont le handicap ne les empêche pas d’être mobiles, sauf qu’ils devront parcourir des distances plus importantes, et que, dans la plupart des cas, ils disposent de revenus d’autant plus modestes qu’ils ne perçoivent que l’allocation adulte handicapé ; qu’il y a aussi les mineurs dont les parents ou proches seront confrontés aux mêmes difficultés en terme de déplacements.

Concernant les tribunaux de commerce, nous ne pouvons que rappeler notre revendication de fonctionnarisation de ces juridictions, mises à mal ces dernières années par un rapport parlementaire et un rapport des inspections générales des finances et des services judiciaires (dont il ressortait notamment que dans 80% des entreprises liquidées, la totalité des fonds récupérés allait aux professions para-judiciaires, et pas un centime aux créanciers). Ce dernier rapport nous semble toujours d’actualité.

A l’inverse d’une nécessaire moralisation du fonctionnement de ces juridictions, les T.G.I. à compétence commerciale d’Avesnes/Helpe, Béthune et Hazebrouck perdraient cette compétence au profit des tribunaux de commerce de Valenciennes, Arras et Dunkerque.

Quelques mots de conclusion :

La C.G.T., nous l’avons dit, n’était pas hostile à toute réforme de la carte judiciaire, car il y a toujours des structures à améliorer. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit aujourd’hui, bien au contraire.

Si l’affaire d’Outreau a été mise d’emblée en évidence par la ministre, rappelons cependant qu’en dehors de la réforme de la carte judiciaire, le législateur, par la loi qui instaure les pôles d’instruction à compter de mars 2008, avait déjà apporté une réponse à cette « affaire », afin qu’il puisse y avoir collégialité des juges d’instruction.

Or semaine après semaine, nous découvrons de plus en plus de départements qui seront, demain, dépourvus de service d’instruction. Est-ce ce qu’a voulu le législateur ?

Nous avons certes lu et entendu, ici ou là , des réactions de « beaufs » bien pensants considérant que cela n’était pas gênant si les détenus devaient se déplacer plus loin, que ce n’était qu’une question de fourgons… En dehors des incertitudes sur l’avenir des transfèrements opérés par les services de police/gendarmerie ou par l’administration pénitentiaire, a-t-on pensé aux victimes qui, elles aussi, devront se déplacer beaucoup plus loin?

De même si la suppression pure et simple de certains T.G.I. nous paraît inacceptable, certains en revanche, pourraient faire l’objet d’une transformation en chambre détachée ainsi que le prévoit le Code de l’Organisation Judiciaire.

Or semaine après semaine, la liste des tribunaux d’instance supprimés (et donc des juridictions de proximité, pourtant théoriquement juridictions à part entière) s’allonge.

Les Français veulent une justice qui fonctionne mieux ?, certainement ! Qui ne le voudrait pas ?

L’actuel projet, pour ce que nous en connaissons aujourd’hui, s’en prend massivement aux tribunaux d’instance, juridictions qui fonctionnent le mieux, qui connaissent les délais les plus courts.

Nous sommes donc bien loin du slogan de départ, une cour d’appel par région et un T.G.I. par département, mais nous ne nous en plaindrons bien évidemment pas.

Nous avons cependant beaucoup de difficultés à comprendre un projet qui tend à casser le service public de la justice (et qui plus est de la justice de proximité), en supprimant massivement les juridictions qui aujourd’hui fonctionnent le mieux au nom d’une meilleure lisibilité et d’une meilleure efficacité de la justice.

Dans un article du Monde du 17 octobre 2007, la ministre explique Dans une juridiction plus importante, l’organisation du travail permet un audiencement plus rapide. La charge de travail est mieux répartie. Les services du greffe sont spécialisés et plus efficaces. Comment peut-on asséner de telles aberrations ! bien au contraire, plus la juridiction est importante, plus les services sont cloisonnés et donc moins efficaces puisque la charge de travail ne peut être répartie aussi aisément que dans un tribunal d’instance ou un T.G.I. de taille modeste où les agents font preuve d’une grande polyvalence et peuvent facilement passer d’un service à l’autre.

Il est patent aujourd’hui que cette réforme s’inscrit dans une politique gouvernementale qui, sous couvert de rationalisation des emplois de fonctionnaires et des dépenses publiques, organise la privatisation et le démantèlement du service public.

Sous couvert d’annonces tonitruantes, on laisse croire à l’opinion publique que la justice constitue une des priorités du gouvernement avec un budget en augmentation de 4,5 % par rapport au précédent. Sauf qu’une lecture à peine poussée du projet de loi de finances pour 2008 permet de constater une perte de 952 E.T.P.T. (équivalents temps plein travaillés) par rapport à 2007, soit la disparition de 1.213,8 emplois dans les seuls services judiciaires, sans qu’aucune explication sérieuse n’ait pu nous être apportée à ce jour !

En septembre 2002, la L.O.P.J. (Loi d’orientation et de programmation pour la justice) prévoyait la création de 3.500 postes de fonctionnaires en 5 ans. En 2007, dernière année d’application de la loi, si le programme avait été globalement respecté dans l’administration pénitentiaire et pour les magistrats, nous en étions à moins de 40% pour les fonctionnaires des greffes.

En janvier 2006, la mise en place de la L.O.L.F. (Loi organique relative aux lois de finances) s’est traduite par une diminution drastique des effectifs de fonctionnaires des greffes, essentiellement dans les conseils de prud’hommes et les tribunaux d’instance. Et nous apprenons maintenant que l’équivalent de plus de 1.200 emplois, pourtant votés par le Parlement, n’ont pas été mis à disposition des juridictions, dont beaucoup sont exsangues, et vont de ce fait être carrément supprimés en 2008.

Les critiques faites à la justice par les citoyens portent pour l’essentiel sur sa lenteur, son coût, son accès.

Si la réforme annoncée devait réellement se mettre en place ces prochaines années, cela ne pourrait se traduire que par une justice encore plus lente, encore plus coûteuse, et encore plus difficile d’accès.

Paris, le 29 octobre 2007

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