Courrier commun au DSJ sur la situation à Mayotte

Vous pouvez télécharger le courrier commun en cliquant ici.

Paris, le 11 mars 2022

A l’attention de Monsieur le directeur des services judiciaires

 Objet    : mise en œuvre de mesures concrètes pour améliorer la situation des personnels à Mayotte

Monsieur le directeur,

Comme vous en êtes d’ores et déjà informé, le vendredi 4 mars 2022, un greffier du tribunal pour enfants de Mamoudzou a tenté de mettre fin à ses jours, dans des circonstances dramatiques. S’il apparaît, heureusement, hors de danger, le geste désespéré de ce collègue doit à notre sens entraîner une réponse rapide et forte du ministère en faveur de l’ensemble des personnels – fonctionnaires comme magistrats – actuellement en poste à Mayotte.

Le courrier adressé par ce collègue pour expliquer son souhait de mettre fin à ses jours établit en effet un lien direct entre ses conditions de travail et d’arrivée sur l’île à la prise de son poste, et son état de désespoir. Si nos organisations, par le biais de leurs sections locales et/ou de leurs instances nationales, portent depuis longtemps plusieurs revendications sur la situation à Mayotte, ce drame vient rappeler avec encore plus d’acuité l’urgence à agir dès à présent pour engager des évolutions très concrètes tant des conditions d’accueil et de travail des agents et magistrats que des moyens donnés à la justice sur ce territoire.

En préambule, nous rappellerons que l’ensemble des personnels du tribunal judiciaire de Mamoudzou a été particulièrement affecté par cette tentative de suicide qui vient s’ajouter à une longue liste de situations individuelles particulièrement alarmantes. Plusieurs arrêts de travail sont actuellement en cours au greffe, dont celui de la directrice de greffe qui a dû être rapatriée en métropole tout récemment. Une magistrate est également en arrêt, en lien avec sa situation professionnelle. Le nombre de jours d’arrêts de travail cumulés sur l’ensemble de l’année 2021 est d’ailleurs particulièrement élevé et constitue une alerte grave concernant la santé des personnels de ce tribunal. Les fonctionnaires et magistrats de ce tribunal subissent, comme les autres habitants de l’île, les conséquences de la situation sociale locale, avec un niveau d’insécurité particulièrement alarmant. Ainsi, un recensement des agressions, parfois extrêmement graves, subies par les personnels vous a été remis lors de votre dernière visite : 34 faits de violences vous ont été listés depuis 2019, dont plus de 25 ont eu lieu depuis le début de l’année 2021 ; une juriste assistante a encore subi un vol avec arme (machette), le week-end passé.

S’il est évident que la chancellerie ne pourra à elle seule résoudre les difficultés présentes sur l’île, qui tiennent essentiellement à son statut actuel, à son histoire et à  la situation sociale, il apparaît néanmoins que plusieurs actions très concrètes seraient de nature à améliorer les conditions d’accueil, de vie et de travail de nos collègues, ce qui pourrait contribuer par ailleurs à pallier en partie le défaut d’attractivité de ce territoire et ainsi éviter d’y envoyer majoritairement des collègues sortant d’école qui ne sont pas toujours volontaires pour s’y rendre. Nombre de ces propositions vous ont déjà été formulées par nos diverses organisations, et si vous nous avez indiqué avoir mis en œuvre certaines d’entre elles (ainsi d’un contrat d’accompagnement à la mobilité pour les magistrats, ou encore de négociations en cours concernant le logement), les collègues sur place sont aujourd’hui en attente d’efforts plus conséquents et surtout immédiats dans leurs effets, et vous l’ont exprimé dans un livret de présentation et propositions qui vous a été remis lors de votre visite. Nous ne pouvons qu’appuyer ces demandes compte tenu de l’urgence de la situation.

  1. Amélioration des conditions d’arrivée et d’accueil

Une grande partie des fonctionnaires et magistrats nommés à Mamoudzou le sont en sortie d’école, dans le cadre d’un choix contraint particulièrement difficile. Il apparaît donc que le minimum serait que ces collègues ne soient pas, au surplus et comme cela se déroule actuellement, confrontés à un véritable parcours du combattant pour assurer leur installation, ceci étant par ailleurs tout autant valable pour les collègues qui font le choix d’une mobilité à Mayotte. Pour favoriser cette installation, nous formulons les propositions suivantes :

  • prise en charge des frais de déménagement vers et au retour de l’île du fonctionnaire ou magistratet de sa famille, quelle que soit l’origine du recrutement et l’ancienneté au ministère de la Justice ou la date de prise en charge du précédent déménagement ;
  • à défaut de pouvoir mettre en œuvre immédiatement cette préconisation, une avance sur laperception de l’indemnité de sujétion géographique doit pouvoir être faite pour que les prochains arrivants sur l’île n’aient pas à s’endetter pour s’installer à Mayotte (la perception du premier quart de l’ISG étant insuffisante) ;
  • octroi de la majoration de traitement aux greffiers stagiaires dont les conditions d’arrivée sur l’îlesont particulièrement difficiles ;
  • mise en place d’une cellule d’accompagnement dédiée, idéalement présente sur place, aux fins decentraliser les dispositifs existants et permettre de réserver un logement, des places en crèche et à l’école ou encore d’ouvrir les différents abonnements qui seront nécessaires aux nouveaux arrivants ;
  • réservation ou acquisition par le ministère de la Justice, éventuellement en partenariat interministériel, d’un parc de logements sécurisés permettant de proposer des solutions immédiates pour se loger, à proximité relative du tribunal ;
  1. Amélioration de la prise en compte du coût de la vie et des conditions locales

Les prix de l’immobilier comme des biens de première nécessité sont particulièrement élevés à Mayotte. Des indemnités (indemnité de logement, majoration de traitement de 40 %) existent d’ores et déjà pour prendre en compte ce coût de la vie mais nous apparaissent devoir être nettement revalorisées, tout particulièrement pour les fonctionnaires et concerner tout autant les locaux que les fonctionnaires venant de métropole. Par ailleurs, en lien avec le ministre des Outre-mer, il conviendrait de revenir sur la règle dérogatoire qui réduit considérablement le montant des prestations familiales à Mayotte par rapport à la métropole.

  1. Mesures pouvant permettre de renforcer l’attractivité des postes à Mayotte

Au regard des problématiques multiples posées par la vie sur l’île, en termes de sécurité, d’accès aux soins, à la scolarité, de l’éloignement particulièrement marqué avec la métropole, il est nécessaire de mettre en œuvre des incitations importantes pour renforcer l’attractivité de ce territoire.

Aussi paradoxal que cela puisse apparaître à première vue, dès lors qu’il est d’ores et déjà difficile de trouver des volontaires, il apparaît impératif de prévoir des effectifs en nombre suffisant pour que la charge de travail ne soit pas intenable et également pour tenir compte des conditions de vie sur l’île (en particulier des conditions de trajet qui, pour ne pas conduire à l’épuisement des collègues, notamment fonctionnaires, ne résidant pas à Mamoudzou, nécessiteraient des horaires réduits et aménagés et la mise en place de possibilités de télétravailler). Il n’est pas possible d’appliquer à Mayotte la même méthode d’évaluation des besoins en effectifs – au demeurant déjà critiquable – que celle appliquée en métropole. A cet égard, la tentative de suicide d’un greffier du tribunal pour enfants, service ne comprenant que deux magistrats et 2 greffiers et 2 contractuels, dans le département connu pour être le plus jeune de France n’apparaît pas anodine et le renfort des effectifs de ce service apparaît impératif. La situation des contractuels, sur laquelle nous vous avons alerté de manière générale, se pose avec particulièrement d’acuité à Mayotte où la précarité de ce statut (incertitude pesant sur la possibilité de renouveler les contrats, contrats courts avec changements incessants de service, sans réelle formation,  faiblesse de la rémunération)  engendre une forte insécurité. Ces renforts en effectifs doivent également concerner les interprètes, qui sont indispensables dans ce département pour toutes les audiences et actuellement en nombre largement insuffisant (4), en lien direct avec leurs conditions de rémunération (faiblesse de celle-ci et heures supplémentaires impayées)

Par ailleurs, il convient de permettre aux collègues de pouvoir rentrer régulièrement en métropole s’ils le souhaitent, retours qui doivent être pris en considération dans les effectifs de la juridiction.

Plusieurs mesures et avantages nous apparaissent ensuite pouvoir être proposés pour renforcer l’attractivité de ce territoire :

  • assurer la possibilité d’un retour en métropole sur un des vœux prioritaires, au moins d’un systèmede priorité qui pourrait ressembler à celui qui existe pour les magistrats placés. A cet égard, la mise en œuvre d’un contrat d’accompagnement à la mobilité par la direction des services judiciaires depuis maintenant un an nous apparaît une initiative allant en ce sens, mais nous déplorons toutefois qu’elle se soit finalement mise en œuvre sans concertation réelle avec le Conseil supérieur de la magistrature, ce qui ne permet pas de sécuriser pleinement les engagements pris. Dans le même ordre d’idée, il pourrait être réfléchi à un concours spécifique pour les greffiers pour Mayotte, leur permettant de connaître et de se préparer à l’avance à leur affectation ;
  • permettre aux magistrats et fonctionnaires exerçant outre-mer d’accéder aux mêmes possibilités de formation que les résidents de métropole, avec une prise en charge de l’ensemble de leurs frais (actuellement, des magistrats se voient opposer qu’ils ont déjà bénéficié d’un remboursement pour un premier module de formation, ou encore qu’ils ont déjà bénéficié de la prise en charge liée au congé bonifié) ;
  • déplafonner ou a minima relever les plafonds des différents avantages accordés (gaind’ancienneté, revalorisation de la retraite, avantages fiscaux).

Nous espérons la mise en œuvre rapide de plusieurs de ces préconisations, et ce notamment dans la perspective de prochaines arrivées à Mayotte, tout devant être fait pour apporter un accompagnement solide aux personnels présents sur place, et éviter des drames comme celui que nous avons connu vendredi.

Au-delà de ces mesures, il nous apparaît par ailleurs important que l’activité de la juridiction puisse être temporairement réduite pour tenir compte des arrêts de travail en cours et du choc subi par l’ensemble des collègues qui ne sauraient se satisfaire d’une simple visite des chefs de cour ou du garde des Sceaux, l’horaire de la venue de ce dernier rendant d’ailleurs impossible la présence de la majeure partie du personnel.

 

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le directeur, l’expression de notre considération distinguée.

Les représentants de :

  • la CGT des Chancelleries et services judiciaires
  • l’UNSa Services judiciaires
  • la CFDT IntercoJustice et la CFDT Magistrats
  • le SGDF-FO Justice
  • l’USM
  • Horizon-Justice magistrats
  • le Syndicat de la magistrature

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