Réponse au questionnaire de la commission d’enquête sur l’indépendance de la Justice

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Le compte-rendu de l’audition est consultable ici et la vidéo est audible ici (à partir de 1:55:20).

Table ronde de syndicats de greffiers

mercredi 10 juin 2020 à l’Assemblée Nationale

Réponse au questionnaire de la commission d’enquête sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire

1) Quel regard portez-vous sur l’indépendance de l’ensemble du corps judiciaire concourant à l’acte de justice ?

Il n’y a pas un « ensemble du corps judiciaire » mais différents corps…

Les magistrats du siège sont censés être indépendants, ce qui n’empêche pas les pressions, et tous n’y résistent pas toujours…

Les magistrats du parquet suivent des directives, même si, théoriquement, leur parole est libre…

Les fonctionnaires des greffes sont sous l’autorité d’un directeur de greffe, lui-même sous l’autorité de magistrats… ce qui limite fortement l’indépendance des fonctionnaires des greffes… Tous ces éléments se retrouvent dans les articles R123-1 à R123-29 du code de l’organisation judiciaire qui rappellent à plusieurs reprises que les directeurs de greffe sont sous l’autorité et le contrôle hiérarchique des magistrats.

Rappelons que jusqu’à peu, certains magistrats étaient élus : les conseillers prud’hommes jusqu’à ce qu’une loi portant le nom d’un ancien ministre des Finances vienne y mettre un terme.

2) Avez-vous déjà été confronté, directement ou indirectement, à des comportements susceptibles de porter atteinte à l’indépendance de la justice et, plus particulièrement, au devoir d’impartialité des greffiers ? Le cas échéant, comment avez-vous réagi ?

Oui, beaucoup de collègues ont été confrontés à des demandes de magistrats afin par exemple qu’ils modifient des notes d’audiences, des dates dans des procédures… Bien sûr, ce sont essentiellement ceux qui l’ont refusé qui le disent… Ceux qui l’ont accepté n’osent guère en parler…

3) Avez-vous eu connaissance de greffiers sanctionnés pour manquement à leur devoir d’impartialité ?

Il faudrait rechercher dans l’ensemble des procédures disciplinaires lancées ces dernières années…

4) Alors que le statut de la fonction publique s’applique aux greffiers, existe-t-il des dispositions spécifiques pour protéger leur devoir d’impartialité ?

Le Code de l’organisation judiciaire garantit « l’impartialité des juridictions judiciaires », sans précisions concernant les personnels de greffe.

Il est dans ce cadre essentiellement question des incompatibilités pour les personnes d’une même famille au sein d’une même juridiction… rappelées à l’article 27 de l’actuel statut particulier des greffiers, à l’article 25 du statut des directeurs des services de greffe.

5) Comment est garantie l’autonomie des greffiers à l’égard des magistrats ? Faut-il revoir ces règles ?

De fait, elle n’est nullement garantie ! Puisqu’en dernière analyse, l’autorité revient à des magistrats…

Il ne faut pas les revoir, il faudrait en établir !

La réforme statutaire de 2015 place désormais les greffiers sous la coupe des magistrats. Avant la réforme, ils rédigeaient selon les « indications » des magistrats, depuis ils rédigent selon les « directives ».

Depuis la même période, on voit se développer les « magistrats coordonnateurs de service », moyens supplémentaires d’empiéter sur le domaine de compétence des directeurs.

6) Comment les greffiers, lors de leur formation initiale puis continue, sont-ils sensibilisés au respect de leurs obligations déontologiques, en particulier en matière d’impartialité et d’indépendance ? La formation sur ces questions est-elle purement théorique ou des mises en situation sont-elles prévues ? Quels progrès sont possibles en la matière ?

Il y a une formation sur la déontologie, peut-être pas assez pratique…

Cependant, au moment de leur arrivée à l’ENG, les greffiers et les directeurs prêtent le serment défini par leurs statuts respectifs (art. 24 décret 2015-1275 et article 22 décret 2015-1273) : « Je jure de bien et loyalement remplir mes fonctions et de ne rien révéler ou utiliser de ce qui sera porté à ma connaissance à l’occasion de leur exercice ».

Ce même serment est prêté par les adjoints administratifs faisant fonction de greffier (article R123-14 du code de l’organisation judiciaire).

7) Disposez-vous d’un recueil des obligations déontologiques des personnels de greffe ? Faut-il en créer un ?

Actuellement, il n’existe pas de recueil des obligations déontologiques des personnels de greffe. Il pourrait être utile d’en créer un pour rappeler le rôle de chacun et notamment faire respecter les prérogatives du greffe.

8) Quelles sont les règles relatives à la mobilité des greffiers ? Faut-il les revoir ?

Les règles relatives à la mobilité de l’ensemble des fonctionnaires civils de l’État concernés par le statut général viennent d’être très sérieusement mises à mal par la loi du 6 août 2019 dite de réforme de la fonction publique, mais qui constitue plutôt une contre-réforme, une casse du statut…

En effet, les CAP. n’étant plus compétentes en la matière depuis 2020, il n’y a plus la moindre transparence, l’administration décide en toute opacité… ce qui n’est pas très motivant (c’est un euphémisme) pour les agents…

Il faut donc d’abord et avant tout redonner leurs pleines compétences aux CAP, dans l’intérêt des agents et du service public !

Concernant les greffiers, comme l’ensemble des personnels des greffes, leurs possibilités de mobilité ont donc été très fortement dégradées…

9) Pour certains observateurs, l’institution judiciaire est aujourd’hui marquée par un fort corporatisme. Que répondez-vous à cette remarque ?

C’est vrai ! Mais est-il plus fort que dans d’autres institutions comme l’institution policière ?

10) La possibilité pour les magistrats de passer du siège au parquet ainsi que celle de faire des allers-retours dans d’autres corps publics ou dans le privé vous paraissent-elles de nature à influer sur l’indépendance de la justice ?

Pour le passage du siège au parquet et l’inverse, il y a bien sûr la question de l’indépendance, ou plutôt de l’absence d’indépendance, des magistrats du parquet…

Le passage dans le privé pose beaucoup plus de soucis !

Lorsqu’un premier président de cour d’appel se fait embaucher par un grand groupe du CAC 40, pour un salaire au moins triple de son traitement, c’est d’abord ses relations, son carnet d’adresse, que le groupe achète…

Lorsqu’un autre premier président de cour d’appel est désigné comme arbitre dans une affaire privée portant sur des centaines de millions d’euros, cela pose évidemment problème…

11) Les moyens mis à la disposition de l’autorité judiciaire vous semblent-ils suffisants pour assurer son indépendance ?

Concernant les greffes, comme partout, il y a les moyens humains et matériels.

Sur le plan humain, il y a la question des effectifs de greffiers, certes en augmentation régulière, mais pas toujours employés à bon escient… Trop de greffiers n’accomplissent pas la totalité de leurs fonctions (comme l’assistance du juge lors de certaines audiences civiles), car elles/ils sont surchargés d’autres tâches… Si les effectifs de greffiers augmentent, les effectifs globaux diminuent avec un total de 248 postes supprimés en 2018 et 2019. Pour 2020, nous nous attendons à de nouvelles suppressions de postes « grâce » aux fusions des juridictions.

Rappelons aussi, qu’en matière de rémunération, le corps, très féminisé, des greffiers (censément B+, recrutement à bac +2) gagne 13% de moins que les autres catégories B (source : infostat Justice n°170, juin 2019).

Sur le plan matériel, malgré un budget de la justice régulièrement annoncé en augmentation, « prioritaire », « sauvegardé »…, les crédits de fonctionnement sont eux en diminution constante…

En matière immobilière, la Justice a eu dernièrement recours à un certain nombre de PPP dont celui pour le « fameux » palais de justice de Paris. Le ministère est ainsi bloqué par Bouygues et il faut payer la moindre prestation, comme l’installation d’une salle pour une audience de presse… Encore plus fou, dernièrement, le ministère a lancé un appel d’offre pour recruter une société pour gérer le contrat Bouygues !

En matière informatique, le ministère est là aussi très dépendant des sociétés qui fournissent les logiciels métiers. La moindre modification du logiciel nécessite d’être programmée car cela coûte cher.

12) Comment analysez-vous les relations entre la justice et les médias aujourd’hui ? Faut-il mieux préserver son indépendance à l’égard des médias et des réseaux sociaux, et, le cas échéant, de quelle manière ?

Heureusement qu’il y a des médias, et notamment un journal satirique paraissant le mercredi, pour soulever un certain nombre de dysfonctionnements de l’institution judiciaire !

13) Comment mieux garantir le secret de l’enquête de l’instruction ?

Il sera toujours difficile d’éviter des fuites… C’est aussi des fois bien utile…

14) Avez-vous d’autres éléments à porter à la connaissance de la commission d’enquête ?

Le rôle important du greffier comme garant de la procédure et authentificateur des actes juridictionnels a été rappelé à plusieurs reprises par la jurisprudence :

=> sa présence est nécessaire lors des débats (civ. 2, 24 juin 2004 ; com. 17 décembre 2002 ; civ. 2, 15 février 2001 ; civ. 3, 2 octobre 2002…) ;

=> seul le greffier présent au moment où la décision a été rendue peut signer la décision (crim. 12 septembre 2007)

=> la signature du greffier est nécessaire (art. 456 CPC).

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