Contribution au questionnaire de la mission de l’assemblée nationale sur l’aide juridictionnelle (AJ)

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Contribution (exposé rapide) au questionnaire 

de la mission de l’Assemblée Nationale sur l’AJ

Notre syndicat défend un service public de la justice accessible, gratuit et de proximité. L’aide juridictionnelle (AJ) est donc un biais essentiel pour accéder à la Justice.

  1. Quel jugement portez-vous sur le fonctionnement de l’aide juridictionnelle ?

L’AJ c’est 1 138 000 demandes déposées en 2018 et un dispositif indispensable pour l’accès à la justice pour des publics précaires. Face à la multiplication des procédures avec représentation obligatoire (que nous dénonçons), l’AJ est la seule porte d’entrée pour les usagers les plus fragiles.

Nous avons donc un regard très positif sur l’AJ, cependant de grandes disparités dans les délais de traitement existent d’un bureau d’AJ (BAJ) à l’autre. Exemples en 2017 : 

BAJDélai de traitementAgents affectésNb décisions rendues
Reims109 jours2 adjoints6 341
Niort9 jours2 adjoints4 711
Alès6 jours1 adjoint1 809
Soissons7 jours1 adjoint1 759

Parmi les difficultés que nous relevons :

* le manque de moyens donnés au BAJ par la juridiction auprès de laquelle il est installé. La priorité est donnée à d’autres services. Or, un mauvais fonctionnement n’est pas sans conséquence sur les délais de traitement des contentieux puisque le juge doit surseoir à statuer dans l’attente de la décision du BAJ. C’est 345 ETPT seulement sur tout le territoire, soit 389 personnes(hors BAJ de la cour de Cassation).

* les problèmes liés à la structure des BAJ à 4 sections (section judiciaire de 1ère instance, section judiciaire d’appel, section administrative de 1ère instance et section administrative d’appel), l’absence d’harmonisation des pratiques et des exigences, traitement des dossiers dans des délais différents… Chaque juridiction devrait avoir son propre BAJ afin de pouvoir maitriser ses délais et conditions de fonctionnement.

* l’hétérogénéité des pratiques des BAJ (voir de ses sections) dans la liste des pièces demandées. Par ex., certains BAJ demandent des attestations d’hébergement des enfants majeurs pour vérifier qu’ils ne vivent plus avec le parent demandeur à l’AJ !

* la différence dans les admissions, car d’un BAJ à l’autre vous pouvez avoir ou non l’AJ. Par exemple, un BAJ considère que 5 000€ d’épargne justifie un refus, alors que pour d’autres BAJ c’est 10 000€ ;

* les difficultés liées au logiciel métier actuel (AJWIN) qui est obsolète. Les évolutions viennent trop tard, il parle encore de RMI à la place de RSA… (cf. capture d’écran du mode opératoire ENG en 2016 ci-dessous). De plus, il n’est pas relié aux autres logiciels métiers, ce qui oblige le personnel du BAJ d’informer par papier les juridictions de l’existence d’une demande d’AJ en cours (attestations de dépôts, envoi des copies de décisions…).

  1. Quel est l’impact de l’encouragement des modes alternatifs de règlement de différends sur le nombre d’affaires bénéficiant de l’AJ ? Quel est l’impact des mesures de déjudiciarisation de certains contentieux (ex : divorce par consentement mutuel) ?

Les usagers demandent l’AJ car ils ont un besoin de justice, besoin d’être entendu dans leur litige et leur souffrance. Ils ne cherchent pas l’avis d’une entreprise privée ou d’une plateforme en ligne pour une médiation. Ils veulent de la justice et de la reconnaissance.

Ces modes alternatifs ne visent d’ailleurs pas le même public que les demandeurs à l’AJ, qui sont un public précaire, souvent isolé socialement, et qui ont besoin d’un accompagnement étroit dans ses démarches. 

Concernant le divorce par consentement mutuel, cette nouvelle procédure a entraîné une augmentation du nombre de demande d’AJ à traiter : en effet, une demande AJ est effectuée pour la procédure devant le notaire mais en cas d’abandon de la procédure ou en cas de saisine obligatoire du JAF, il est nécessaire de déposer une nouvelle demande d’AJ.

De plus, c’est au BAJ qu’il revient de délivrer les AFM dans le cadre de la procédure de DMC.

  1. S’agissant de l’admission à l’aide provisoire, savez-vous si le président d’audience demande systématiquement à l’avocat dès le début de l’audience si son client bénéficie d’une demande d’aide juridictionnelle sur laquelle la juridiction doit se prononcer provisoirement ?

L’AJ provisoire est très peu usitée par les juridictions. En effet, pour se prononcer sur une AJ provisoire, le juge a besoin d’avoir quelques éléments sur la situation patrimoniale du demandeur. Or, ce dernier ne vient pas à l’audience avec les justificatifs nécessaires…. 

L’AJ provisoire est utilisée par les BAJ pour traiter les demandes en cas d’urgence (ex. : délai pour exercer une voie de recours presque expirée, situation d’enlèvement international de mineurs…).

De plus l’AJ provisoire ne règle rien. En cas de rejet, le demandeur à l’AJ doit rembourser les sommes avancées par l’État. Au pire, in fine, c’est l’avocat qui ne sera pas payé…

  1. Que pensez-vous des dispositifs de contractualisation locale avec certains barreaux ?

Ces contractualisations permettent de réduire les délais de traitement, d’adapter le dispositif aux besoins et à l’activité de chaque juridiction mais du coup, cela entraîne des disparités de traitement des demandes d’un BAJ à l’autre. Par ailleurs, il est choquant de relever que dans le cadre de la procédure de comparution immédiate par exemple, le prévenu bénéficie d’un avocat commis d’office, dispositif organisé et financé en fonction d’un contrat passé entre la TGI et le barreau, sans examen de la situation patrimoniale du prévenu, alors que parfois, et souvent, en face, il y a une victime, qui elle ne bénéfice pas d’un tel dispositif ! Bien souvent prévenue à la dernière minute de l’horaire de l’audience (via un texto de l’officier de police judiciaire) elle ne comprend rien au déroulé de la procédure, n’étant pas assistée ou n’ayant pas eu le temps d’être renseignée par le bureau d’aide aux victimes et n’est pas en mesure de faire valoir son préjudice et d’obtenir réparation. Le dispositif de contractualisation locale avec les barreaux devrait obligatoirement traiter de la mise en place d’avocat commis d’office pour la défense des victimes dans le cadre de la procédure de comparution immédiate.

  1. De quelles mesures relatives à la prise en charge du coût de l’assistance par un avocat doit s’accompagner l’extension de la représentation obligatoire ?

Notre syndicat est totalement opposé à l’extension de la représentation obligatoire qui éloigne les usagers de la justice. Le libre choix de sa défense est d’abord le droit de choisir ou non un avocat pour assurer sa défense.

  1. Quelles propositions privilégier pour mieux accompagner le justiciable tenu de recourir à un avocat (consultation systématique et gratuite avant l’introduction de l’instance, dispositifs destinés à éviter les défauts de comparution des défendeurs, autre ? 

La consultation avant l’introduction de l’instance est une fausse bonne idée. Toute d’abord, elle serait une étape de filtrage contrôlée par ceux là même qui ont un intérêt pécuniaire à ce que la procédure soit engagée…. Elle va coûter très cher à l’État et soulève d’autres problématiques relatives à la procédure, à savoir :

* comment sera vérifiée ou attestée la réalisation de cette consultation ? Par qui ? Par les BAJ ? 

* est-ce que les BAJ devront en tenir compte dans l’examen de la demande d’AJ ? Quid de l’absence de consultation sur la demande d’AJ ? Exigence pour toutes les demandes d’AJ ou bien la limiter à certains contentieux ? Lesquels ? Cela soulève la problématique de la priorité donnée ou pas à certains contentieux ;

* et quid de l’effet de l’introduction de cette étape supplémentaire sur la suspension et/ou l’interruption des délais de recours ? Trouver un avocat, avoir son avis, le communiquer au BAJ… cela prend du temps. Or les délais de recours peuvent être parfois très courts et en certaines matières, la demande d’AJ a un effet interruptif du délai d’appel et de pourvoi. Ne serait-ce pas là encore, donner la maîtrise des délais de recours à ceux qui en sont bénéficiaires, c’est à dire les avocats.

Notre syndicat n’est donc pas favorable à la consultation préalable d’un avocat en matière d’AJ. Les expériences menées actuellement ne sont pas concluantes (ex. : Versailles). Par contre, notre syndicat est favorable à ce que l’information, la compréhension de la procédure auprès des usagers soit assurée par le professionnel dont c’est le métier, à savoir le greffier.Cela nécessite la mise en place d’ un véritable service d’accueil performant parce que assuré par des greffiers (ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui même avec le SAUJ…) auquel seraient adossés des services pour l’accompagnement des personnes (aide à la rédaction, aide à la constitution du dossier, à la production des pièces demandées…) assuré par le secteur associatif, dans le cadre par exemple d’un point d’accès au droit adossé à l’accueil (ex : Versailles où l’expérience menée est concluante).

Quel est votre position sur la numérisation de l’aide juridictionnelle ?

Notre syndicat y est plutôt favorable à la conditionque cette dématérialisation n’ait pas pour effet d’éloigner les usagers de la justice et de réduire le service publique de la justice. Pour rappel :

* 500 000 personnes ne peuvent avoir accès à internet depuis leur domicile ;

* la France est 24èmesur 28 au sein de l’UE s’agissant de la couverture 4G ;

*« Dans les communes de moins de 1 000 habitants, plus d’un tiers des habitants n’ont pas accès à un Internet de qualité, ce qui représente près de 75 % des communes de France et 15 % de la population », relève ainsi le Défenseur des droits, dans un rapport publié le 16 janvier. « Les lycéens allaient au McDo de Castelnaudary[à 20 km]pour se connecter sur Parcoursup », racontait Catherine Puig, maire des Cassés (Aude), dans Le Mondedu 15 février.

Le papier doit être maintenu obligatoirement pour permettre aux personnes en zone blanche ou aux personnes qui ne sont pas à l’aise avec l’outil numérique de pouvoir y accéder quand même.

La dématérialisation doit être un plus en : 

* réduisant les délais de traitement (délivrance d’attestation de dépôt automatique, suivi de l’évolution du dossier, dépôt des pièces en ligne) ;

* facilitant les démarches des usagers en permettant de déposer une demande à tout moment sans être tributaire des horaires d’ouverture au public du service ;

* harmonisant les pratiques entre les BAJ si elle s’accompagne aussi du transfert de la présidence des BAJ aux DSGJ (sauf pour les BAJ de la Cour de Cassation puisqu’en l’état des textes actuels, il faut procéder à l’examen d’un moyen sérieux de cassation). Ils sont les seuls à avoir toutes les compétences nécessaires : juriste, gestionnaire et administratif ;

*facilitant le travail des BAJ : interconnexions et transmissions d’informations et des actes et pièces entre les services, faciliter la communication avec les usagers et les professionnels du droit, fiabilité ;

La dématérialisation doit se faire avec les utilisateurs :

* faciliter le travail des agents sans donner lieu à des suppressions de poste (contrairement à la politique menée actuellement) ;

* travailler avec les juridictions sur la construction du nouveau logiciel (éviter un nouveau Cassiopée qui aujourd’hui encore pose beaucoup de problème) ;

* donner de vrais moyens à l’accès au droit, notamment par la mise en place d’un réseau d’écrivain public numérique ;

* donner les moyens aux usagers d’accéder à internet (vraie politique de déploiement de la fibre, formation et cours pour les nouveaux usagers d’internet).

  1. Comment poursuivre le développement de dispositifs de prise en charge par l’assurance de protection juridique ? 

Notre syndicat n’y est pas favorable dans la mesure où l’assurance de protection juridique est une fausse bonne idée. Les assureurs gagnent beaucoup d’argent avec mais ne couvrent que peu leurs assurés. Ils tardent trop souvent à dire s’ils prennent en charge ou pas le sinistre, ce qui bloque les demandes d’AJ !

Tous les sinistres ne sont pas couverts, et certains sont soumis à une appréciation de l’assureur sur les chances de gagner la procédure ! Sans compter les cas dans lesquels l’assuré n’est même pas informé de l’existence d’une assurance de protection juridique (assurance habitation par exemple).

Enfin, quand bien même elle peut être mise en œuvre, l’assurance de protection juridique ne couvre pas entièrement tous les frais. 

  1. Quelles sont les différentes options de réforme de l’aide juridictionnelle qui pourraient être approfondies concernant, en particulier :

– le champ de l’aide juridictionnelle (définition et appréciation des conditions d’attribution, etc) ;

La condition de revenus de toute nature est injuste et difficile à vérifier. Tous les revenus sont pris en compte avant l’abattement de 10% par les impôts. Ce critère devrait être remplacé par le revenu fiscal de référence, qui est une donnée facilement accessible.

Il faudrait réfléchir aussi à prendre en compte certaines situations de surendettement.

Il faut aussi réfléchir à la notion de foyer. Lorsqu’une personne est hébergée à titre gratuit par un ami ou une connaissance, voire quand un adulte retourne vivre temporairement chez ses parents, les revenus de ces derniers ou de l’hébergeant sont pris en compte alors qu’il n’existe pas de devoir de secours ou de solidarité

Il faut clarifier les effets de la demande d’AJ sur les délais de recours. L’article 38 (du décret n°91-1266) est peu clair. Il y a des vraies inégalités sur le territoire. 

– les pratiques des BAJ (harmonisation de l’appréciation des dossiers par les BAJ, généralisation de l’accès aux données fiscales et sociales, traitement des commissions d’office, etc) ;

Il est incompréhensible que l’on demande aux usagers de donner des documents ou informations déjà disponibles auprès des autres administrations. Le BAJ pourrait récupérer les informations relatives aux revenus auprès des autres administrations, en particulier de la DGFIP (c’est d’ailleurs prévu depuis un décret du 18 janvier 2019).

En matière de commissions d’office (CO), l’AJ devrait être accordée au vu de la seule AFM délivrée à l’auxiliaire de justice par le greffier sans qu’il soit besoin d’une décision supplémentaire. En effet, l’AJ est quasiment automatique dans beaucoup de BAJ en matière de CO et ce en application des contrats locaux passés entre les barreaux et le TGI. Or, actuellement, l’AJ en matière de CO représente une part très importante, et est chronophage en temps et en personnel tant pour le BAJ que pour les barreaux. 

– la gestion de l’aide juridictionnelle (mise en place d’un système unique de gestion au bénéfice du barreau ou d’un opérateur dédié ?, etc.) ;

Notre syndicat est totalement opposé à ce transfert de service public vers le secteur privé. L’AJ est un droit fondamental pour l’accès à la justice. Sa maitrise doit être renforcée au sein même de la justice, justice dont la gestion ne peut être transférée au secteur privé et encore moins à ceux qui en tirent un bénéfice pécunier !

– la création de structures d’avocats dédiées à l’aide juridique ainsi que la possibilité de salarier des avocats pour accomplir des missions d’aide juridictionnelle ;

Notre syndicat milite depuis longtemps pour la création d’un corps d’avocats fonctionnaires intervenants dans le cadre de l’AJ. Ce système aurait l’avantage de contrôler l’usage du fond dédié à la rémunération des avocats, de simplifier le système de désignation des avocats à l’AJ et de garantir (notamment aux avocats en début de carrière) un salaire minimal. A noter que certains barreaux, dont celui de Paris, y sont devenus favorables.

– la rétribution des professions du droit concernées ;

Il faudrait simplifier le système de rémunération,voir à réfléchir à un système du forfait car il y a un déséquilibre dans l’indemnisation des missions. Des missions d’urgence devant le JLD en matière d’étrangers sont très faiblement indemnisées (4 UV), alors que déposer une déclaration d’appel de référé avec représentation obligatoire et le lendemain produire des conclusions de désistement c’est 30 UV.

– les sources de financement complémentaires ?

Notre syndicat est totalement opposé à un retour sous quelque forme que ce soit d’une taxe ou « droit de timbre » pesant sur les usagers. Le principe d’une justice gratuite et accessible à tous est fondamental. 

Paris le 30 avril 2019

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