« Simplification » des missions des greffes ?

Vous pouvez télécharger notre courrier au garde des Sceaux en cliquant ici.

Le 20 juillet devant l’Assemblée Nationale, le garde des sceaux s’était interrogé sur deux possibilités : ne pas dactylographier une décision de justice et que les greffiers n’assistent plus à l’audience.

Il vient de solliciter les organisations syndicales, le 28 ou 29 juillet 2020, sur les « éventuelles mesures de simplification et les bonnes pratiques dans les missions des greffiers » avec un délai de réponse pour le 7 août 2020 ! Les gardes des sceaux se suivent, et la dégradation du dialogue social ne cesse de s’accentuer !

Quoi qu’il en soit, cette célérité ne manque pas de surprendre et surtout de nous inquiéter, d’autant qu’à chaque fois qu’il est question de mesures de simplification, ce sont les mauvais coups qui se préparent, tant pour les personnels des greffes que pour les usagers et le service public de la justice !

Le rôle du greffier, un acteur majeur

Rappelons que le problème, ce n’est pas la place du greffier et sa charge de travail, mais bien le manque de personnels qui conduit à des retards, des pratiques déviantes, et à un détournement des missions qui conduisent le greffier à ne plus assurer son rôle essentiel. Ce n’est pas parce qu’aujourd’hui il y a des pratiques déviantes qu’il faut en les valider.

L’article 4 du statut des greffiers définit les fonctions du greffier et son rôle essentiel d’assistant du juge et de garant de la procédure. De nombreuses décisions de justice sont venues rappeler que sa présence était nécessaire lors des débats (civ. 2, 24 juin 2004 ; com. 17 décembre 2002 ; civ. 2, 15 février 2001 ; civ. 3, 2 octobre 2002…). La cour d’appel de Paris, lorsqu’elle est saisie, invalide toutes les décisions du Juge des Enfants, si le greffier n’était pas présent à l’audience… Vouloir réduire la présence du greffier à l’audience, c’est attaquer notre statut. Le greffier n’a pas un rôle « statique » à l’audience ! Outre garantir le respect de la procédure lors du déroulé des débats, le greffier est aussi un acteur essentiel : combien de fois les avocats viennent lui chuchoter des questions ? En audience, le greffier peut aussi traiter ses mails, rédiger des décisions ou préparer des AFM… Le greffier n’est pas juste une potiche et sa présence à l’audience est nécessaire.

Il a été évoqué que les jugements pourraient être dispensés de rédaction, ce qui soulève un certain nombre de questions. Au pénal, on a suffisamment reproché aux magistrats de ne pas motiver les décisions… Or la motivation du jugement est nécessaire pour expliquer la décision du magistrat, notamment lorsqu’il y a appel ou pourvoi. De plus, comment exécuter une décision sans jugement ? Quelle forme prendraient ces décisions ? Des trames types que le juge remplirait à la main ? Comment serait-ce possible ? Si on prend les décisions rendues sur le siège au pénal, par exemple en comparution immédiate, la décision est directement préparée par le greffier en même temps que les pièces d’exécution pour que la décision soit exécutée immédiatement… Au civil, les décisions sont généralement mises en délibéré pour que le magistrat prenne le temps de la motiver… Cette proposition est tout simplement incompréhensible.

La réforme statutaire de 2015 a eu, entre autres, pour conséquences la suppression de plusieurs centaines de postes de directeurs de greffe dans les juridictions dites « de petite taille », juridictions qui ont toujours mieux fonctionné en terme de délais que les « usines à gaz » de plusieurs centaines d’agents. Ces postes ont été transformés en postes de B fonctionnels qui n’ont pour la plupart pas trouvé preneurs, comme au sein des Hauts-de-Seine avec 5 postes vacants sur les 7 tribunaux de proximité. Ces vacances d’emploi ont un impact négatif sur le greffe, la présence d’un cadre étant nécessaire pour assurer la gestion quotidienne et accompagner la mise en place des réformes.

Par ailleurs, nous tenons à signaler que le soutien nécessaire au personnel de greffe ne peut relever que du recrutement de personnels titulaires et formés dans de bonnes conditions.

REVENDICATIONS (non exhaustives) sur le greffe:

=> la création d’un service public de l’exécution des décisions de justice et assuré par le greffier. Cette évolution du métier de greffier, entrant pleinement dans son champ de compétence, permettrait, outre la création de nombreux postes, de simplifier les démarches des justiciables tout en diminuant le coût de l’exécution au regard des tarifs actuels des actes d’huissiers1 ;

=> l’attribution au greffier de la notification des compositions pénales en lieu et place du délégué du procureur (dont nous demandons la suppression), notification dont le coût entraîne un alourdissement des frais de justice alors que nous manquons de moyens financiers dans nos juridictions ;

=> la création d’un corps d’avocats fonctionnaires qui aurait vocation à assurer la défense des usagers éligibles à l’aide juridictionnelle (à noter que cette revendication de la CGT avait été reprise dans le projet Macron pour la Justice…) ;

=> la transformation de la justice commerciale en un véritable service public par la fonctionnarisation des greffes des tribunaux de commerce en lieu et place du système mafieux actuel ;

=> la suppression des postes de greffiers fonctionnels et leur remplacement, notamment dans les ex TI et CPH par des DSGJ ;

=> la réouverture de négociations sur le statut de 2015 ;

=> des recrutements à la hauteur des besoins ;

La « dette » informatique du ministère de la Justice

Le confinement l’a montré, le Sénat l’a très clairement noté dans son rapport sur la « gestion » de la crise : notre ministère est archaïque en termes d’informatique. L’ex garde des sceaux a même reconnu notre « dette technologique très importante ».

Au niveau pénal, nous ne reviendrons pas sur les déboires qu’a connu le logiciel Cassiopée, mais rappelons qu’il est incompatible avec le logiciel Minos ! Impossible de les ouvrir sur le même poste informatique…

Quant au pendant civil de Cassiopée, le projet Portalis, censé à terme permettre le traitement de la procédure civile et remplacer les logiciels existants, les inquiétudes sont grandes sur l’état du projet. De plus, le développement du projet a déjà eu des impacts négatifs sur les logiciels actuels du fait du système de remontées mis en place début 2018 : impossibilités d’imprimer en recto/verso, éditions par lot devenus impossibles, lenteur dans les éditions des documents, plantage régulier dans les éditions des documents… ralentissant d’autant le travail du greffe notamment dans les ex-TI !

Le RPVA n’a pas été déployé dans les ex-TI, entravant la « communication électronique » avec les avocats. On l’a notamment vu lors de la reprise d’activité après le 11 mai où il a fallu chercher manuellement les adresses mails des avocats pour les aviser manuellement des nouvelles dates d’audience…

Autour de 2015, ont été données à certains agents des « cartes agent » dont la vocation est de pouvoir se connecter à certains logiciels et d’aller à terme vers la signature électronique. Cinq ans plus tard, chaque logiciel a toujours son propre code d’accès et la signature électronique n’est qu’une lointaine promesse.

REVENDICATIONS (non exhaustives) en matière informatique :

=> l’arrêt des suppressions de postes de techniques alors qu’il y a justement besoin d’agents techniques et d’informaticiens pour gérer le numérique et l’informatique ;

=> le recrutement continu dans le corps interministériel des ingénieurs des SIC (bac + 5) ;

=> la création de postes de techniciens des SIC pour positionner les contractuels informaticiens sur des postes de B techniques, et non comme SA actuellement ;

=> l’arrêt de l’appel aux prestataires extérieurs dans les DIT, alors qu’actuellement 25% des effectifs le sont !

=> suppression de la plateforme hotline nationale en partie externalisée et retour à des plateformes régionales ;

=> la professionnalisation des CLI (correspondants locaux informatiques) ;

=> pas de déploiement de logiciel sans que celui-ci soit abouti et ait été testé ;

=> création et gestion des logiciels directement par des agents du ministère afin d’avoir la main sur nos logiciels et de ne pas avoir des coûts supplémentaires à chaque évolution ;

=> un bilan de l’informatique au sein de notre ministère est nécessaire avant tout nouveau projet ;

« De bonnes pratiques »… Pour mieux faire le contraire ?

Depuis de nombreuses années, notre syndicat demande que ce soit des directeurs de greffe (auparavant greffiers en chef) qui gèrent administrativement les juridictions.

Un bon exemple nous a été donné dans les conseils de prud’hommes.

Généralisés sur tout le territoire en 1980, dotés alors de fonctionnaires de l’État, les conseils de prud’hommes ont été pendant des années les juridictions qui fonctionnaient le mieux, notamment parce qu’elles n’étaient pas dirigées par des magistrats professionnels mais, de fait, par un greffier en chef, ou pour les plus petites, par un greffier, chef de greffe.

A tel point que lors de la mise en place expérimentale du logiciel budgétaire Gibus, dans les années 1990, la cour d’appel pilote d’Amiens, échaudée par des pratiques douteuses de certains chefs de juridiction de TGI, avait décidé d’implanter ce logiciel dans les conseils de prud’hommes, le chef de greffe de CPH n’étant pas sous l’autorité des chefs de TGI… Et le résultat avait été très positif !

La cour d’appel de Rouen, qui n’avait pas fait ce choix, avait connu des résultats bien plus mitigés, c’est un euphémisme…

Cela était bien sûr insupportable pour les petits potentats locaux que sont, malheureusement bien trop souvent, les magistrats chefs de juridiction des TGI !

Il fallait donc mettre un terme au bon fonctionnement des conseils de prud’hommes, et ce fut fait par divers moyens, notamment :

*la suppression continuelle des effectifs de fonctionnaires des conseils (sans toucher à celui, bien souvent pléthorique, des conseillers !), ce qui fait qu’aujourd’hui, de nombreux CPH n’ont même plus la moitié des effectifs attribués en 1980 ; la DSJ a à ce sujet un argument fort, c’est dans les CPH qu’il y a le moins de postes vacants ! Bien évidemment, puisque la plupart des postes qui deviennent vacants sont immédiatement supprimés !

*la transformation de la grande majorité des postes de greffiers en chef chefs de greffe par des « greffiers fonctionnels », qui, en dehors de celles et ceux qui étaient déjà auparavant greffiers chefs de greffe de CPH, n’avaient pas de fait naturellement l’autorité (et les compétences professionnelles) nécessaires pour s’imposer auprès des conseillers lorsque cela s’avérait nécessaire, suite au protocole de juillet 2014 et aux décrets statutaires d’octobre 2015…

*la suppression de fait de l’autonomie de la quasi totalité des greffes des conseils de prud’hommes, par leur fusion au sein des tribunaux judiciaires, du fait d’un amendement scélérat à la loi de programmation pour la justice, amendement survenu en cours de navette parlementaire…

Nous avons d’ailleurs pu voir très récemment les conséquences désastreuses de cette fusion lors du confinement et de la mise en place des PCA (plans de continuation de l’activité), la plupart des conseils n’étant de ce fait plus en mesure de fonctionner, y compris pour les audiences de référé…

Est-il utile de préciser que si la suppression de pratiquement la moitié des effectifs de fonctionnaires (dont près de 90 % des greffiers en chef/directeurs) a créé de nombreux dysfonctionnements dans les CPH, les centaines de postes redéployés dans les TGI/TJ n’ont pas mieux fait fonctionner ces juridictions ? Car si les moyens sont nécessaires, tout ne se résume pas à une question de moyens…

Nous ne pouvons qu’être inquiets pour le service public de la justice à la lecture d’un récent article du quotidien Le Monde suite aux travaux de la commission d’enquête parlementaire sur l’indépendance de la justice (dont le rapport doit être remis en septembre), lorsqu’il est question d’accroître l’autonomie des chefs de juridiction…

Quant aux remontées des bonnes pratiques, il faudrait informer le garde des sceaux que la DSJ dispose d’un bureau dénommé « Accor.J » (anciennement Via-Justice) qui compte notamment comme attributions : « élabore et réalise des études et enquêtes pour analyser le fonctionnement des juridictions, accompagne les expérimentations, analyse les résultats obtenus et en diffuse le bilan ; valorise les expériences innovantes, les compétences et les savoir-faire professionnels ; étudie les processus et les schémas organisationnels dans un souci de fluidification du traitement des procédures et d’harmonisation des pratiques ; élabore des guides de bonnes pratiques et des outils destinés à faciliter l’organisation, le fonctionnement, l’animation et le pilotage des juridictions ; assure une mission de diagnostic des services en difficulté à la demande des juridictions ; accompagne et soutient les juridictions dans leurs projets de service innovants et performants ».

Au lieu de chercher à simplifier par pénurie, le ministère ferait mieux de s’attacher à donner des moyens humains, matériels et informatiques au greffe. La crise sanitaire l’a une nouvelle fois démontré !

Par ailleurs, les usagers du service public de la Justice ne doivent pas être oubliés et doivent rester au centre de nos préoccupations. La Justice est un service public et des moyens sont nécessaires pour garantir son accès à tou.te.s.

Quant aux « simplifications » qui pourraient être envisagées, rappelons que celles qui ont été déjà engagées ont plus souvent amené à des complexifications qu’autre chose ! L’exemple des différentes réformes menées en matière de procédure prud’homale est malheureusement parlant.

Du fait de l’impossibilité de rédiger un document complet sur nos revendications, vous trouverez en annexe une liste de prise de positions de notre syndicat.

Paris le 5 août 2020

Différentes prises de positions du syndicat :

-13 juillet 2020 réponse au questionnaire sur l’indépendance de la Justice :

https://cgt-justice.fr/reponse-au-questionnaire-de-la-commission-denquete-sur-lindependance-de-la-justice/

-29 mai 2020, infirmières de la Justice

https://cgt-justice.fr/nous-sommes-les-infirmieres-de-la-justice/

-25 juin 2019, « jusqu’ici tout va bien »

https://cgt-justice.fr/jusquici-tout-va-bien-compte-rendu-du-tour-operator-loi-justice/

-3 juin 2019 contribution au questionnaire de la mission de l’assemblée nationale sur l’aide juridictionnelle

https://cgt-justice.fr/contribution-au-questionnaire-de-la-mission-de-lassemblee-nationale-sur-laide-juridictionnelle-aj/

-31 janvier 2019 : projet de réforme de la justice : table ronde du 30 janvier 2019

https://cgt-justice.fr/projet-de-reforme-de-la-justice-table-ronde-du-30-janvier-2019-au-senat/

-Professions de foi greffiers et directeurs 2018

https://cgt-justice.fr/wp-content/uploads/2019/07/DSJ_CAP_007_CGT-.pdf

https://cgt-justice.fr/wp-content/uploads/2019/07/DSJ_CAP_006_CGT-.pdf

-15 janvier 2018 : audition de la CGT sur les chantiers de la Justice

https://cgt-justice.fr/audition-de-la-cgt-sur-les-chantiers-de-la-justice/

-9 mai 2017 : « in-gestion » budgétaire des juridictions

https://cgt-justice.fr/in-gestion-budgetaire-des-juridictions/

-17 mars 2017 : audition au Sénat sur le redressement de la justice

https://cgt-justice.fr/audition-au-senat-sur-le-redressement-de-la-justice/

-28 février 2014 : Justice du 21ème siècles, quelques pistes de réflexions

https://cgt-justice.fr/justice-du-21eme-siecle-quelques-pistes-de-reflexions/

-7 février 2014 : fiche thématique J21 greffiers

https://cgt-justice.fr/fiche-thematique-j21-greffiers/

-7 février 2014 : fiche thématique J21 directeurs

https://cgt-justice.fr/fiche-thematique-j21-greffiers-en-chef/

-position de la CGT sur l’office du juge (2014)

document ci-joint

1La récente affaire révélée par la presse contre le président de la chambre départementale des huissiers devrait d’ailleurs interroger sur les libéralités accordées à cette profession

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